2013 – Les opérations d’identification et de transcription des droits fonciers posent des problèmes sous-estimés

(texte extrait de Chauveau J.-P. et Lavigne Delville P., 2012, Les limites des politiques de formalisation des droits fonciers et coutumiers (2) : L’illusion de la « photographie » neutre des droits, Les Notes de Politique de NEGOS-GRN n° 11, Nogent sur Marne, NEGOS-GRN/GRET/IRD, 4 p., et schéma de Lavigne Delville P., 2014, Competing conceptions of Customary Land Rights Registration (Rural Land Maps PFRs in Benin), Methodological, policy and polity issues, Cahiers du Pôle Foncier n° 5, Montpellier, Pôle Foncier, 24 p.)

 

La formalisation des droits fonciers coutumiers ne se borne pas à « constater » de la manière la plus neutre possible les droits individuels ou collectifs existants et à les « traduire » fidèlement en des catégories légales auxquelles l’autorité de l’État va conférer une portée juridique.

Chaque étape du processus de formalisation pose des problèmes importants aux forts enjeux socio-politiques. La fiabilité, la légitimité et la durabilité de toute la démarche de formalisation tiennent pour une bonne part à la façon dont ces problèmes sont pris en charge par les politiques foncières et les dispositifs officiels.

Dans la conception qui prévaut le plus souvent dans les programmes de formalisation des droits fonciers coutumiers, on considère que les droits fonciers locaux relèvent d’une propriété de fait, individuelle ou collective. Dans cette conception, l’enjeu principal est dès lors dans le levé des limites ; l’identification du ou des détenteurs de droits, et des droits dont ils disposent, relèverait d’une procédure d’enquête, simple et neutre, et les problèmes majeurs à surmonter seraient la lourdeur ou le coût des procédures.

Or, c’est loin d’être le cas (Colin et al., 2010). Alors même que l’objectif affirmé est de formaliser tous les droits tels qu’ils existent, on assiste en pratique à une sélection des droits enregistrés, à une simplification plus ou moins marquée de leur contenu, et finalement à une représentation déformée des réalités socio-foncières :

Les droits coutumiers relèvent de maîtrises foncières variées, et non d’une propriété de fait (une parcelle, un droit, un titulaire). Or, les opérations ne s’intéressent en pratique qu’aux droits de possession sur des espaces délimités. Ceci tend :

> à exclure les détenteurs de droits sur les ressources naturelles, en particulier ceux sur les pâturages et les parcours, et ceux liés à la cueillette et l’exploitation des ligneux;

> à fragiliser les droits des détenteurs de « droits délégués » (prêts à court ou long terme, dons coutumiers couplés à des conditions sociales, locations, métayages, etc.) ou même de ceux qui ont acheté des terres, et dont les droits peuvent être remis en cause du fait d’une conception « autochtoniste » du foncier;

> à transformer des droits d’appropriation complexes, impliquant différents membres du groupe familial, en une « propriété » individuelle ou collective, transformant ainsi le statut des ayants droit familiaux et le pouvoir du représentant des collectifs d’ayants droit.

Ces altérations des droits existants se produisent aux différentes étapes de l’identification et de la transcription des droits :

> les terminologies utilisées dans le programme, dans les ches d’enquêtes, dans les registres, forment autant de ltres par rapport aux réalités socio-foncières. Les déclarations recueillies lors des enquêtes socio-foncières sont en pratique soumises à de nombreuses distorsions (d’Aquino 1998) ;

> les procédures « participatives » censées garantir la abilité des informations enregistrées dans les cartes et dans les registres ont de nombreuses limites. « La seule information validable par les populations est le recueil de leurs déclarations : l’information transcrite (…) est une œuvre externe à la perception des populations, qu’elles ne peuvent raisonnablement pas connaître ou inrmer » (d’Aquino, 1998 : 484) faute d’en maîtriser le sens. Lors des enquêtes, la restitution aux enquêtés des informations qu’ils ont données ne valide pas les informations interprétées et transcrites dans les fiches. Après les enquêtes, la phase de publicité, censée permettre à chacun de vérifier et de corriger les éventuelles erreurs, porte sur des informations transcrites et comporte de nombreux biais (durée insuffisante, recours non prévus, difficultés de lecture des plans et de prise de parole, absence d’ayants droit, etc.).

Ces biais sont ampliés par la faible sensibilisation  à ces questions par les responsables des politiques, des opérations et des équipes de terrain, davantage préoccupés par les contraintes de temps et de coût que par la abilité des informations. Ces contraintes poussent à éviter les zones conictuelles et les zones où les droits ne sont pas stabilisés (fronts pionniers, marges du territoire) qui deviennent des zones de « non- droit » au moment de la validation légale du document.

Au final, il peut y avoir des écarts considérables entre les informations recueillies, les informations transcrites, les informations validées localement et les informations qui seront ou sont validées juridiquement. Ces écarts seront sources d’exclusions, mais aussi de conflits futurs.

Loin d’être des démarches techniques et neutres, les opérations de formalisation s’inscrivent en outre dans des enjeux politiques, tant nationaux que locaux, et sont susceptibles d’être instrumentalisées par des groupes d’intérêt. Elles offrent des opportunités de peser sur les droits et obligations juridiquement reconnus, alimentant des  confrontations et des négociations entre acteurs locaux inégaux et sus- citant des incertitudes et des difficultés qui sont d’autant plus fortes que les objectifs politiques sont peu précis, les méthodologies floues, et les décalages entre catégories juridiques et catégories locales importants.

Le schéma ci-dessous illustre la façon dont les différentes étapes de la procédure des questions liées aux catégories analytiques utilisées, aux représentations et intérêts des agents chargés des enquêtes, aux enjeux politiques locaux.

 

transcription des droits

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