Expertise et appui aux praticiens

La question de l’utilité sociale de la recherche, et en particulier celle des conditions et apports de la mobilisation des savoirs socio-anthropologiques dans l’intervention de développement, est au cœur de ma démarche. En effet, c’est à partir de ma pratique d’agro-économiste au sein d’une Ong, le GRDR, que je suis devenu anthropologue. Grâce à la Fondation pour le Progrès de l’Homme, j’y ai animé un premier programme de « capitalisation d’expérience », visant à systématiser et approfondir la connaissance que le GRDR avait acquis des dynamiques économiques et sociales dans sa zone d’intervention, la vallée du fleuve Sénégal.

Au Gret, j’ai pratiqué ou supervisé diverses formes d’expertise et d’accompagnement des praticiens dans leur réflexion et dans l’élaboration de leurs stratégies, soit sur mes thématiques propres (dynamiques agraires et aménagements de bas-fonds, foncier), soit plus largement, au sein de la Direction scientifique du Gret que j’ai créée en 1999 et animée pendant près de 10 ans, et dont l’objectif est de renforcer la réflexivité des praticiens du Gret sur leurs propres pratiques, à travers la mobilisation des expériences et de références de sciences sociales.

On peut regrouper ces différentes formes en trois grands types :
– des « expertises d’accompagnement », répondant à des demandes qui portent, selon les cas, sur la connaissance des situations locales, et/ou sur la production de cadres d’analyse et de repères méthodologiques pour traiter une question nouvelle ou mal maîtrisée par l’équipe du projet. Il s‘agit là de mobiliser des cadres conceptuels pertinents et des connaissances empiriques issues d’enquêtes de terrain, plus ou moins approfondies, pour construire un questionnement pertinent.
– des expertises d’appui aux politiques, proposant des stratégies pour la définition ou la mise en œuvre de politiques sectorielles (sur le foncier en particulier). L’enjeu est ici moins dans la production de connaissances que dans la mobilisation d’un cadre d’analyse et dans une tentative pour négocier un cadrage en termes de politique publique au sein d’acteurs hétérogènes et en compétition entre eux pour le sens et les orientations des réformes.
– des accompagnements de « capitalisations d’expérience ». Dans la conception que j’ai contribué à promouvoir au Gret, une capitalisation d’expérience consiste à produire, plus ou moins collectivement, une analyse rétrospective distanciée d’une action, sur la base d’un questionnement et d’une tentative d’objectivation, pour en tirer des enseignements. Elle suppose le plus souvent l’appui d’un tiers qui joue un rôle de maïeutique et de questionnement, incitant le ou les praticien(s) engagé(s) dans la capitalisation à prendre du recul sur ses (leurs) interprétations spontanées, à approfondir l’analyse, à explorer d’autres pistes interprétatives.

Dans les trois cas, il s’agit de mobiliser grilles d’analyse et résultats de sciences sociales, pour approfondir, questionner, mettre en perspective les cadres d’analyse et les stratégies d’action des praticiens, dans un dialogue constructif mais critique. Et ainsi de leur permettre de mettre leurs savoirs, intuitions et pratiques en perspective par rapport à une analyse plus « socio-anthropologisée » des contextes où ils agissent, des interventions qu’ils mènent, et de leurs enjeux sociaux et politiques, et d’adapter ou repenser leurs pratiques.

Inversement, ces expertises et dialogues sont une porte d’entrée passionnante dans la pratique, les modes de raisonnement qui la fondent, la culture professionnelle des praticiens, et finalement cet « art du possible » qu’est l’intervention de développement. A l’Ird, je participe à des forums et des séminaires de praticiens, je m’investis de façon ponctuelle dans des expertises, lorsqu’elles portent un enjeu politique fort ou qu’elles sont articulées à mes recherches.

NB J’ai analysé ma pratique d’anthropologue au sein d’une Ong dans mon dossier d’habilitation à diriger des recherches.