Juillet 2025 – La gouvernance foncière des communes sénégalaises : essai de synthèse

(extrait de
Diongue M., Lavigne Delville P. et Faye Diouf I., 2025,
A la recherche des normes pratiques de la gouvernance foncière communale,
Dakar, Presses Universitaires de Dakar)

Une coexistence peu régulée de régimes juridiques,
une gouvernance fortement politisée dans un environnement institutionnel durablement défaillant

Comme les recherches des années 1980 (Caverivière et Debene, 1989; Debène, 1986; Faye, 1982; Le Roy, 1980; 1985; Niang, 1982) l’avaient déjà identifié, et comme les études menées à la fin des années 2000 (Diop, 2006; Faye, 2008; Gueye, 2008; Touré, 2009) l’ont confirmé, la gouvernance foncière des communes au Sénégal est loin de suivre les textes, et les arrangements avec la norme sont nombreux.

Par différents moyens, l’Etat cherche à réformer la loi sur le domaine national et les pouvoirs accordés aux communes. Il le fait en rendant les communes responsables des dérives, et en cherchant à renforcer son propre contrôle sur tout ou partie du domaine national (Lavigne Delville, 2024). Faute de pouvoir attaquer frontalement la Loi sur le Domaine National (LDN), faute de pouvoir, peut-être, afficher explicitement un projet d’intégration des terres du domaine national dans le domaine privé de l’Etat auquel il a dû plusieurs fois renoncer, il modifie à la marge les textes. Il soutient par ailleurs des projets visant à modifier les pratiques foncières des communes, en rendant les procédures d’affectations plus rigoureuses, projets qui se veulent producteurs d’outils et de référence pour une possible réforme. Ces projets ont produit des outils, des manuels, des procédures, des systèmes d’archivage et d’information foncière qui comblent de véritables manques, mais peinent à enclencher des changements durables dans les pratiques.

La limite de ces projets de réforme est qu’ils ne regardent qu’une partie de la question, omettant de prendre en compte la responsabilité de l’Etat dans la mal-gouvernance foncière, responsabilité qui touche à la fois au cadre légal et à ses carences qu’il n’a jamais cherché à traiter, et aux pratiques de ses administrations.

Notre recherche a montré que la gouvernance foncière communale « en acte » s’inscrit dans un cadre légal et réglementaire qui délègue sous contrôle étatique un fort pouvoir foncier aux communes, tout en autorisant l’Etat à prendre le contrôle des terres qu’il juge utiles, cadre légal modifié par les réformes successives de la décentralisation et marqué par des contradictions et des incomplétudes anciennes mais jamais résolues, et que l’ensemble des acteurs mobilise de façon partielle et instrumentale. La gouvernance foncière « en actes » repose sur des régularités issues de bricolages progressivement routinisés, entre élus, techniciens, agents de l’administration étatique, chefs de village, et bien évidemment demandeurs de terrains (habitants, nouveaux arrivants, entrepreneurs, etc.), Les nombreux conflits suscités par ces pratiques sont gérés au coup par coup, en fonction des rapports de force entre acteurs. Largement connues de l’administration, ces pratiques sont tolérées, voire entérinées par ses agents, qui sont eux-mêmes partie prenante du jeu, et en partie redevables vis-à-vis du pouvoir politique.

Ce que met au jour cette recherche, c’est ainsi une gouvernance foncière faite de jeux d’intérêts et de rapports personnalisés, dans un contexte de ruée sur les terres, où chacun cherche à accaparer des terres ou à monnayer sa participation au jeu foncier, qui traduit de fortes inégalités dans l’accès aux droits, en fonction des rapports de force, et où seul le souci de limiter les conflits et de préserver la paix sociale arrive parfois à contrôler les appétits. Une gouvernance où, sous réserve que l’État ne convoite pas les terrains, les élus locaux, alliés ou opposants au pouvoir central, ont une forte capacité d’intervention dans l’affectation de terres, terres agricoles et lots d’habitation, et où ils jouent de ce pouvoir en fonction des réseaux d’acteurs et des rapports de force dans lesquels ils sont insérés. Ce pouvoir va de pair avec une forte politisation du foncier, qui est instrumentalisé par les élus dans leurs stratégies d’accumulation économique et de consolidation de leur assise politique via une gestion clientéliste des affectations et des attributions de lots dans les lotissements.

Ce pouvoir des élus se confronte cependant à la volonté de l’État de mobiliser les terres pour ses projets d’aménagement, et au service de sa propre clientèle politique, qui l’amène à utiliser, y compris parfois de façon illégale, sa capacité légale de faire basculer des terrains du domaine national dans son domaine privé. Il se confronte aussi au pouvoir des autorités villageoises, qui ont un pouvoir foncier coutumier très divers selon les régions, mais qui affirment, eux-aussi, une légitimité foncière pour s’imposer comme acteur dans ces processus. C’est dans ce jeu complexe que se nouent et se recomposent les alliances territoriales mouvantes que Nicole List (2014) met en évidence, où chacun tente de se rendre indispensable et de monnayer son appui, et dont les rapports de force décident de la nature des aménagements, de leur leadership, et du partage de la rente.

Mais, là où les études antérieures mettaient principalement l’accent sur la responsabilité des élus et appelaient à un respect des textes, notre analyse souligne l’importance structurelle et durable de la pluralité des normes et des autorités. L’abolition légale des droits coutumiers a transformé les rapports fonciers, mais la LDN n’a pas remplacé les droits issus de la coutume par la généralisation des affectations de terre. Les communes ne régulent aujourd’hui, via les affectations, qu’une part très variable des terres. Par ailleurs, l’Etat immatricule en son nom une part, là aussi variable mais parfois importante, des terres du Domaine national, les soustrayant à la fois aux régulations coutumières et communales. On a ainsi une coexistence, diversement régulée, entre trois ensembles de normes, et trois types d’autorités revendiquant le pouvoir d’attribuer et d’administrer des droits sur la terre et de régler les conflits.

Figure 1 Une gouvernance foncière, à l’interface de trois ensembles de normes
(schéma Philippe Lavigne Delville)

Trois autres dimensions sont essentielles à prendre en compte pour comprendre les pratiques :

  • les ambiguïtés structurelles durables et les nombreuses incomplétudes institutionnelles du cadre légal et réglementaire. Elles sont connues de longue date, et régulièrement mises en avant, sans que l’on s’interroge toujours sur les raisons de ces contradictions et plus encore sur celles de leur permanence.
  • l’importance des relations de concurrence entre acteurs et institutions intervenant dans le foncier, et en particulier l’Etat, dont les agents recourent aussi à des pratiques informelles ou semi-légales. Trois points sont ici importants : l’enjeu politique du pouvoir d’attribuer des terres fait que chaque autorité cherche à l’exercer de façon autonome, quitte à en court-circuiter les acteurs normalement concernés par la procédure, mais qui pourraient s’y opposer ou négocier trop cher leur participation ; le contrôle de l’information est stratégique ; si le cadre légal est censé définir des régimes juridiques clairs, bien délimités, les frontières sont en pratique brouillés par les interventions des uns et des autres, qui dépassent leurs prérogatives ou empiètent, consciemment ou non, sur les autres domaines (immatriculations à vocations privées engagées par l’Etat, affectations sur des terrains titrés, affectations sur le territoire d’autres communes).
  • l’économie politique du foncier et son rôle dans les stratégies d’ancrage local de l’État et de consolidation des pouvoirs politiques locaux. De fait, les communes ont dès leur création été un relais du pouvoir central, un des lieux de consolidation à la fois de l’ancrage de l’État et de l’hégémonie du parti au pouvoir. Le passage au multipartisme et les alternances a ouvert le jeu, mais le lien au parti au pouvoir demeure central. Opportunité d’enrichissement et de redistribution clientéliste, le foncier est un enjeu majeur du jeu politique et des recompositions des élites locales. C’est aussi un enjeu dans les stratégies d’accumulation des élites nationales, des agents des administrations, et de rémunération des alliés politiques comme le cas du titre Bertin l’a clairement montré (Inspection générale d’Etat, 2014).

La loi sur le domaine national place les élus locaux sont au centre de la tension entre ces différentes normes. Ils sont parties prenantes des normes globales de la société, fondées sur le clientélisme et les réseaux relationnels, ils sont issus de la région et à ce titre enchâssés – au moins partiellement – dans la société locale et ses propres normes, qui varient d’une région à l’autre. Ils sont socialement situés dans les réseaux sociaux et politiques locaux, porteurs des intérêts de leurs groupes statutaires, religieux et familiaux, redevables à la fois vis-à-vis d’eux et de leurs électeurs, et vis-à-vis des partis politiques qui les soutiennent et d’une administration partiellement politisée. Ils sont porteurs d’intérêts spécifiques, en termes de maintien au pouvoir, d’accumulation et de redistribution clientéliste. Et enfin, ils doivent en théorie respecter un cadre légal et réglementaires largement en décalage avec ces deux ensembles de normes.

Ils exercent ainsi leurs responsabilités électives – et en particulier celles touchant au foncier – au sein de ces jeux de contraintes et d’opportunités, dans un contexte où le foncier est par excellence le lieu de l’accumulation et où leurs responsabilités ne sont que peu régulées par un cadre institutionnel incomplet et défaillant, et par des mécanismes de redevabilité institutionnelle eux-mêmes politisés et peu opératoires. Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que les élus aient historiquement cherché des compromis entre ces injonctions contradictoires, aient tenté de préserver la paix sociale tout en agissant au service de leurs intérêts personnels et de ceux de leurs clients et patrons. Que les pratiques soient variées, en fonction des régions, mais aussi du profil des élus, et de leur position au sein des réseaux de pouvoirs locaux et de ceux du pouvoir politique national.

Au-delà des régularités, les pratiques varient en effet fortement selon les configurations locales : enjeux fonciers de la région (urbanisation, irrigation, pression foncières, poids de l’aristocratie foncière), enjeux politiques et territoriaux de la commune (en termes d’économie locale, de ressources fiscales, d’intérêt pour l’État et les entreprises), profil du personnel politique local (en termes de réseaux familiaux et statutaires, de trajectoire professionnelle et de lien au pouvoir en place à Dakar), se combinent pour dessiner des équilibres politiques variés, et des degrés variés de politisation de la gouvernance foncière. Du point de vue de l’Etat, Cayar n’est pas Diamniadio. Du point de vue des enjeux fonciers locaux, Mont-Rolland n’est pas Sangalkam. Dans les communes porteuses de forts enjeux fonciers (explosion urbaine, concentration d’agrobusiness), des élus instrumentalisent clairement lotissements et affectations au service de leur carrière politique et de leurs réseaux. D’autres, comme à Mont-Rolland, dans des communes où le sujet est moins sensible, mais surtout parce qu’ils sont porteurs d’une conception engagée de l’action communale au service des citoyens, s’interdisent de jouer ce jeu et auto-limitent l’intervention de la commune dans les lotissements.

Débattre à partir des pratiques et des normes pratiques : un agenda pragmatique de réforme

Le constat de la mal-gouvernance foncière est largement partagée. Les conflits font la une des journaux. Chef de l’Etat et élus locaux se renvoient la balle. Depuis 1995 et le Plan d’action sur le foncier, l’Etat cherche à réformer la loi sur le domaine national, censée être inadaptée à l’économie de marché. Malgré les démentis pratiques (la LDN n’empêche ni le développement d’un marché foncier sur le domaine national, ni l’installation pacifique d’agrobusiness sur base négociée), il maintient de tentative de réforme en tentative de réforme un cadrage où la solution passe par la remise en cause, plus ou moins radicale, du domaine national et une extension du contrôle des terres par l’Etat, alors même que le recours à l’immatriculation sans respect des droits existants, et l’attribution clientéliste des baux, sont à la source d’une partie importante des conflits. Malgré sa volonté d’une réforme « participative et consensuelle », la dernière Commission national de réforme foncière n’a pas réussi à aboutir à un projet consensuel, en partie pour être partie d’un cadrage limitant la réflexion à une alternative inacceptable pour les populations, l’immatriculation au nom de l’Etat ou des collectivités locales (Lavigne Delville, Diagne et Richebourg, 2021; Touré, 2018) (le Président de l’époque affirmant de plus clairement que la seconde option était inacceptable).

Après cet échec, l’Etat semble suivre la voie d’une réforme discrète, poursuivant le détricotage progressif de la LDN, avec l’appui de projets, au risque de processus contradictoires, et surtout d’une absence de consensus politique et de mesures qui renforcent le pouvoir d’arbitraire de l’Etat.

De façon pragmatique, ne faut-il pas laisser de côté le débat juridique, sur ce qui est légal ou pas, pour s’intéresser aux problèmes concrets auxquels ces innovations tentent de répondre, à leurs atouts et limites, et si besoin aux façons d’améliorer et d’institutionnaliser celles qui sont pertinentes, éventuellement par un changement des textes. Dans la lignée de l’approche analytique proposée dans cette recherche, et dans une approche réformiste, nous proposons de partir de l’identification des normes pratiques, mais aussi des innovations et des pratiques marginales mais positives, pour rendre possible un débat public sur ces pratiques, discuter lesquelles sont problématiques, et si, par quelles mesures et à quelles conditions, celles–ci peuvent être modifiées.

Normes pratiques de l’administration et réformes (Olivier de Sardan, 2014 : 10-11)

Les normes pratiques sont inévitables, et ne sont pas nécessairement négatives. Un Etat où tous les fonctionnaires respecteraient à tout moment les règlements est inenvisageable (et serait sans doute invivable !). Certaines normes pratiques (que nous appelons « adaptatives ») permettent de rendre des normes abstraites et impersonnelles compatibles avec des contextes particuliers et des situations singulières ; elles peuvent aussi « humaniser » les procédures. Par contre, d’autres normes pratiques nuisent gravement à la délivrance de services publics de qualité ou au fonctionnement efficient des administrations (nous les appelons « transgressives »). Et enfin certaines normes pratiques sont ambivalentes, elles facilitent de façon bricolée le fonctionnement de l’administration tout en ouvrant la porte à des privatisations informelles (nous les appelons « palliatives ») : elles bafouent les règles mais permettent la délivrance du service.

Connaître les normes pratiques est indispensable pour toute réforme des comportements non observants, dont la fréquence et la nature posent problème (on supposera en effet que les comportements observants ne posent pas, eux, problème !). Cela veut dire connaître ce qu’il faut modifier (en tout ou en partie), ou ce qu’on doit accepter ou tolérer (parfois ou souvent, provisoirement ou à long terme). Il s’agit donc de partir de la réalité vécue au quotidien des services de l’Etat. Par contre, les réformes habituellement entreprises ne se soucient pas de connaitre les normes pratiques en place, elles se contentent de superposer une nouvelle couche de normes officielles aux normes officielles qui existaient déjà (et qui étaient loin d’être toujours respectées).

Partager un diagnostic issu de l’observation des pratiques est pour nous un préalable à la discussion collective sur les problèmes et les façons de les traiter, discussion qui est elle-même une condition pour des réformes pertinentes et faisables.

Partager, systématiser et compléter les innovations déjà expérimentées

Une partie des écarts à la norme observés tient à la politisation du foncier et aux opportunités d’enrichissement illégal qu’il permet. C’est une dimension incontestable des pratiques. Mais on ne peut en faire la seule clé d’analyse. Notre étude s’est intéressée aux écarts sous le double angle des pratiques opportunistes et des innovations utiles. Elle a ainsi montré que les communes ne restent pas passives face aux carences institutionnelles et au manque d’outil. A côté des propositions, partiellement acceptées, issues des projets d’appui à la gestion foncière, certaines communes mettent en place, à leur propre initiative, des innovations, bricolent des réponses aux problèmes qu’elles rencontrent, testent et adoptent ou rejettent des propositions externes. Création bricolée de SIF locaux, affectations familiales ou à durée déterminée, régularisation de ventes consensuelles, etc. ces différentes initiatives montrent que les écarts à la norme ne sont pas seulement liés à des intérêts clientélistes ou politiques. Ils témoignent aussi de la volonté des acteurs territoriaux de maintenir une gouvernance inclusive autour du foncier et/ou constituent des logiques de contournement institutionnalisé, ayant pour but de répondre à des vides ou des contradictions du cadre légal.

Ces pratiques administratives relèvent de « solutions palliatives » qui tentent d’apporter des réponses pratiques aux problèmes rencontrés, face aux carences des services publics (Olivier de Sardan, 2014) : « ces comportements sont « non officiels », « décalés par rapport à ce que prévoient les textes », « à la limite de la légalité » (et parfois même illégaux), mais ils apportent des solutions informelles à des goulots d’étranglement des services publics ».

D’autres innovations, proposées par des ONG, n’ont pas pu être analysées dans le cadre de cette recherche. C’est en particulier le cas des Commission domaniales élargies qui visent à intégrer, outre le chef de village, des acteurs locaux dans toute décision concernant le foncier à l’échelle d’un village, pour garantir que ces décisions fassent l’objet d’un réel consensus. Une évaluation de ces initiatives serait utile à la réflexion.

Il est utile d’identifier et de prendre au sérieux ces innovations car elles révèlent les limites pratiques du cadre légal et institutionnel existant, et des outils à leur disposition et, même limitées et imparfaites, elles ouvrent des pistes pour travailler, avec les communes, à définir des réponses plus efficaces. D’autres pistes émergent suite à notre étude qui pourraient faire l’objet de débats sur leur pertinence et leurs modalités de mise en oeuvre. Sans modification majeure du cadre légal et institutionnel, elles pourraient permettre de réduire les comportements problématiques identifiés dans cette recherche.

Des pistes à débattre pour améliorer la gouvernance foncière des communes

Sur le plan des normes et procédures

Revoir collectivement le Manuel à la lumière des expériences et le rendre opposable

Systématiser le registre des demandes et le registre des délibérations

Obliger à peine de nullité à signer les contrats de cession de peines et soins devant le chef de village et témoins, sur la parcelle, avec identification et matérialisation physique des limites, et levé de la parcelle

Evaluer et, le cas échéant, généraliser les Commissions domaniales élargies

Reconnaître et systématiser les lotissements co-négociés entre mairie et détenteurs fonciers

Promouvoir la mise à disposition temporaire des terres aux investisseurs, et développer les instruments pour cela

Préciser sur les affectations si elles permettent ou non les demandes ultérieures de régularisation par voie de bail

Interdire toute immatriculation en vue de régularisation par bail au profit d’acteurs privés sans accord préalable de la commune, par délibération du conseil communal après avis de l’assemblée du village

Définir une durée maximale d’instruction des projets de lotissement par l’administration

Interdire et sanctionner toute attribution de parcelle dans les lotissements aux fonctionnaires en poste dans l’administration foncière et territoriale contrôlant le site concernée

Sur le plan des outils

Former et équiper tous les CADL et les agents communaux en capacités de levés GPS

En attendant le logiciel partagé prévu par le Procasef, appuyer les communes dans la mise en place d’un SIG minimal

Indexer le SIF sur le POAS

Mettre en place un mécanisme de financement communal des lotissements évitant la rémunération des géomètres par un quota de parcelles

Sur le plan de la coordination et du partenariat entre acteurs

Rendre obligatoire la fourniture par le cadastre de la base cadastrale de la commune

Vérifier en amont de la décision d’affectation que le terrain à affecter relève bien du domaine national

Rendre obligatoire la participation du chef de village concerné à la commission domaniale

Renforcer le contrôle de légalité des délibérations d’affectations (PV de la visite de la commission domaniale, avec signature du chef de village, PV de la délibération du conseil)

Mettre en place un mécanisme d’audit des pratiques, couvrant les communes et l’administration territoriale, couplant appui-conseil et sanctions

Assurer que les projets d’appui à la gestion foncière interviennent dans un cadre institutionnel cohérent et équilibré, que les instruments proposés par les projets répondent à un cahier des charges co-construit avec les communes, qu’une réelle politique de prise en charge de ces instruments par les communes est définie et mise en œuvre.

Pallier les carences institutionnelles majeures

Aller plus loin suppose d’intervenir sur le cadre légal et réglementaire, pour traiter des carences ou des incohérences institutionnelles, parfois aussi anciennes que la LDN elle-même, et réduire l’enjeu politique du foncier, ou en tous cas les possibilités de l’instrumentaliser.

Toiletter les décrets d’application de la Loi sur le Domaine national

La LDN semble intangible, au point que la contourner ou la supprimer est souvent mis en avant comme la seule issue. Or, il y a des réponses possibles à un certain nombre de carences, avec des aménagements limités. Sans toucher à la loi elle-même, des retouches au décret sur l’affectation permettraient de réduire sensiblement les problèmes :

  • Préciser que « membre de la communauté rurale » signifie en pratique résident ou détenteur de terres du domaine national sur le territoire de la commune (ce qui permettrait de réduire les ambiguïtés, même si régler définitivement cette question supposerait de modifier la loi elle-même);
  • Préciser que l’affectation correspond à une régularisation de droits fonciers légitimement détenus, par héritage ou contrat de cession réalisée selon les formes autorisées, pour empêcher les attributions politiques de terres à des gens qui ne les détiennent pas déjà ;
  • Supprimer la clause d’exploitation personnelle, autoriser les transferts temporaires (prêts, locations, etc.) selon les arrangements reconnus dans la zone ;
  • Reconnaître, sous conditions (à débattre au préalable) le droit de céder définitivement des droits d’usage sur une parcelle du DN, par  ses occupants légitimes, avec un PV de conseil de famille en cas de terrain familial, et intégrer le contrat d’achat à toute demande de régularisation ; reconnaître le droit de transmettre par héritage, moyennant déclaration à la commune aboutissant à une ou plusieurs nouvelles affectations au nom du ou des héritiers ;
  • Reconnaître les affectations familiales et définir les procédures spécifiques de gestion de ces affectations collectives (par ex. PV du conseil de famille pour tout acte portant sur la parcelle) ;
  • Ouvrir l’affectation aux entreprises, sous condition d’un protocole d’accord préalablement négocié et signé entre la commune, les détenteurs fonciers et l’entreprise ; et permettre les affectations à durée déterminée.

Le récent décret 2022-2307 répond en partie aux deux derniers points, mais il ne définit aucune règle, ni sur les conditions de gestion des parcelles familiales, pour éviter les conflits internes aux familles, ni sur les conditions d’octroi d’une affectation à une entreprise privée. Cela aurait pu être l’occasion de normer le processus de négociation avec les investisseurs pour assurer des décisions consensuelles et des accords équilibrés, actés dans un protocole d’accord, et en faire des conditions d’affectation.

Définir et institutionnaliser un service foncier au sein du code des collectivités territoriales

On l’a vu, rien ou presque ne définit légalement comment les affectations doivent être gérées, ce que doit contenir le fameux « dossier foncier » prévu par la LDN, quelles sont les règles d’archivage des dossiers de demandes pour assurer une traçabilité des décisions. Le seul manuel existant a été produit dans le cadre d’un projet, et n’est pas d’une application obligatoire. Les procédures et les outils proposés par les projets eux-mêmes ne s’appuient sur aucun cadre normatif, et restent donc à la bonne volonté des communes. Bien que devant être un outil à la disposition des communes, les SIF mis en place par les projets dans la vallée sont avant tout administrés par les projets eux-mêmes, au mieux par la SAED. Ces projets reposent sur des dispositifs mis en place à grands frais, portés dans des montages institutionnels pas toujours cohérents, et qui demeurent dans un vide institutionnel, ce qui – avec bien d’autres facteurs – favorise leur effondrement post-projet.

Le principe de la libre administration des communes ne signifie pas que celles-ci peuvent faire n’importe quoi sur le foncier. Il est de la responsabilité de l’Etat de définir plus précisément le cadre dans lequel doit s’exercer la forte responsabilité confiée aux communes en termes en foncier, car les citoyens ont le droit de voir leurs droits sur la terre reconnus et sécurisés. Cette responsabilité relève nécessairement de la tutelle des communes, et donc du Ministère des collectivité territoriales.

Comme l’état-civil, la gestion foncière est une compétence confiée aux communes, mais qui relève des dimensions de base de la citoyenneté. On peut penser qu’il ne pourra y avoir d’assainissement, au moins partiel, de la gouvernance foncière, tant que le Code des collectivités locales ne rendra pas obligatoire la mise en place d’un bureau foncier au sein des services techniques communaux, avec des responsabilités claires, des compétences minimales en termes de personnel, de formation et de moyens, éventuellement adaptés aux différentes configurations foncières, et ne fera pas de la commission des affaires domaniales et foncières une commission obligatoire, avec des prérogatives et des règles définies.

Ce qu’est un bureau foncier et une commission domaniale, les exigences en termes de personnel et de budget, les règles minimales de fonctionnement, devront être définis en concertation avec les communes, de façon à assurer du réalisme des dispositions.

Ceci permettra de rendre obligatoires – et donc contestables par recours administratif si besoin – le fait d’avoir un SIF et ses spécifications, de rendre opposable le manuel des procédures foncières des communes (ou une version revue collectivement).

Modifier les procédures d’immatriculation pour assurer transparence et légitimité

Les pratiques de l’administration foncière ont, comme on l’a vu, une responsabilité dans la mal gouvernance foncière à l’échelle des communes. Les procédures d’immatriculation n’intègrent pas l’existence des communes, qui ne sont pas une étape obligée de la procédure, ce qui rend possible des immatriculations sans que la municipalité soit informée. Bien plus, les procédures d’enquête commodo et incommodo sont peu précises, et peuvent être virtuelles. Le fait que les décrets prévus à la loi 2011 sur la propriété foncière n’aient jamais été publiés rend possible tous les abus. Les informations sur les enquêtes et les bornages sont formelles (publication au journal officiel, affichage au tribunal) et sont en pratique inaccessibles aux acteurs concernés. Enfin, le critère d’utilité publique, qui justifie les immatriculations au nom de l’Etat, n’est pas défini, et signifie en pratique « décidé par l’Etat ». Il n’y aura d’amélioration de la gouvernance foncière que si ces éléments, sources historiques de spoliations et de conflits, sont traités :

  • Préciser le critère d’utilité publique, et le décerner sur la base d’une réelle enquête publique contradictoire, prenant en compte les gains et les pertes pour les différents acteurs concernés ;
  • Supprimer le fait qu’un lotissement soit automatiquement d’utilité publique ;
  • Préciser les conditions dans lesquelles des demandes de régularisation par voie de bail sont recevables ;
  • Obliger à annexer le plan du terrain concerné à toute étape de la procédure d’immatriculation ;
  • Intégrer le chef de village et la mairie dans les étapes d’instruction d’une demande de régularisation par voie de bail ;
  • Assurer une réelle information des acteurs concernés lors des enquêtes d’utilité publique, et des opérations de bornage, par affichage en mairie et au village, information du public par crieur public, pose de panneaux sur le terrain concerné ;
  • Faire cosigner le rapport d’enquête publique et ses conclusions par le chef de village.

L’enjeu d’un outil cartographique réellement partagé

Alors que l’Etat n’a historiquement pas doté les communes des outils cartographiques leur permettant de gérer leur territoire et de localiser les affectations réalisées, les SIF bricolés par les communes montrent qu’il s’agit d’un besoin réel. Les limites des tentatives de mettre en place par projet des systèmes d’information foncière (que ce soit au sein de l’administration foncière, avec le Projet d’appui à la gestion foncière, dans les années 2020 ou au niveau des communes du delta) appellent une réflexion approfondie sur les conditions de réussite de telles tentatives. Un élément est la demande des acteurs concernés, ou la volonté politique et la capacité à leur imposer, faute de quoi les initiatives peuvent être aisément contournées ou neutralisées. C’est peu dire que, d’un côté comme de l’autre, la volonté de rigueur et de transparence n’est pas acquise. Un autre élément est la durée des projets qui se donnent pour objectif de créer de tels outils, et sa cohérence avec la tâche que représente leur création, leur expérimentation, leur adaptation. Les projets successifs dans la vallée montrent en effet une succession d’efforts mal dimensionnés et inachevés. Au carrefour de ces deux éléments, se pose la question de l’élaboration partagée de leur cahier des charges, indispensable pour que l’outil réponde aux demandes et attentes des uns et des autres et aussi pour en négocier l’acceptation, le tout contribuant à leur pertinence et leur acceptabilité et leur appropriation.

Une telle élaboration partagée du cahier des charges est d’autant plus indispensable qu’un SIF opératoire devra être partagé entre administration foncière et communes. L’absence d’outil partagé permet actuellement à l’une comme aux autres de mener leurs actions de façon indépendante, quitte à accroître la confusion et les attributions contradictoires des mêmes terrains. La situation actuelle, où les communes doivent négocier sur des bases personnelles l’accès à l’état des titres fonciers est problématique. Qui a la tutelle du SIF et comment est-il géré ? Qui peut y apporter quelles informations et quelles modifications, qui a accès à quoi, et à quelles conditions ? sont des questions cruciales pour la pertinence d’un SIF partagé, questions qui supposent un travail approfondi lui-même partagé sur les attentes et contraintes des différentes parties prenantes, d’identification des fonctions à remplir, de définition des objectifs et des procédures.

Références

Caverivière, M. et Debene, M., 1989, « Foncier des villes, foncier des champs (Rupture et continuité du système foncier sénégalais)« , Revue internationale de droit comparé, vol 41 n° 3, p. 617-636.

Debène, M., 1986, « Un seul droit pour deux rêves« , Revue internationale de droit comparé, vol 38 n° 1, p. 77-94.

Diop, D., 2006, « Pouvoir local et gestion foncière dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal. Exemple des Communautés Rurales de la Région de Matam », in Aquadev, ed., Le Financement des Collectivités Locales. Actes du séminaire de Dakar, Dakar, Aquadev, p. 40-47.

Faye, J., 1982, Régime foncier traditionnel et réforme foncière au Sénégal, Sociologie, Université de Paris X-Nanterre, Nanterre

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Lavigne Delville, P., 2024, Sénégal : La Loi sur le domaine national, l’Etat et le marché. Contradictions structurelles et résilience d’une législation originale, Les Cahiers du Pôle Foncier n° 26, Montpellier, Pôle Foncier, 53 p.

Lavigne Delville, P., Diagne, D. et Richebourg, C., 2021, Influencer collectivement les orientations d’une réforme foncière. Enseignements de la mobilisation des organisations de la société civile au Sénégal, Série Foncier, Investissements et Droits, Londres, IIED, 49 p.

Le Roy, E., 1980, « L’émergence d’un droit foncier local au Sénégal », in Conac, G., ed., Dynamiques et finalites des droits Africains. Actes de Colloque de L’Universite de Paris I sur la Vie du Droit en Afrique, Paris, Economica, p. 109-140.

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