2004: Renforcer les collaborations entre recherche et ONG (Contribution au groupe de travail du HCCI)

En 2004 et 2005, un groupe de travail du Haut Conseil à la Coopération Internationale
a travaillé sur les relations recherche-ONG.
Membre du groupe de travail, j’ai produit cette note et contribué à la rédaction de l’avis.
 
1.Améliorer la pertinence de la recherche en coopération pour le développement économique et social des pays du sud

Partout la question de l’application de la recherche et de son rôle pour le développement économique et social est importante. Les débats contemporains montrent l’importance d’une contribution de la recherche au débat public sur les grandes controverses ; les recherches ou recherche-actions en partenariat avec des organisations opérationnelles, répondant à des demandes sociales, gagnent en légitimité (INRA, Généthon, etc.), montrant qu’il n’y a pas de contradiction entre excellence scientifique et implication dans les questions de développement ou d’utilité sociale : c’est avant tout une question de choix des objets de recherche et de modes de pilotage des programmes.

Ces enjeux sont encore plus forts dans les pays du Sud, où les besoins (en connaissances, en expérimentations et innovations) sont criants, et les moyens des structures de recherche limités. La recherche en coopération peut y contribuer puissamment, renforçant et complétant les capacités nationales. Cela demande qu’une attention particulière soit apportée à la définition des programmes et objets de recherche, de façon à optimiser leur pertinence et leur qualité scientifique et leur utilité pour le développement économique et social.

Cela passe par une série d’innovations (qui peuvent ou non se combiner) et pourraient porter essentiellement sur les programmes de recherche et les unités (il paraît en effet difficile d’introduire de tels critères dans l’évaluation des chercheurs eux-mêmes, en tous cas si cela était limité à la recherche sur/pour/avec le développement) :

– l’introduction de critères d’utilité sociale ou « pour le développement » dans les dossiers de validation de programmes de recherche en coopération (en termes d’unités de recherche ou de demandes de financement). Ces critères ne visent pas à enfermer la recherche en coopération dans une applicabilité immédiate, mais à mieux gérer l’équilibre entre excellence scientifique et pertinence pour le développement, en faisant en sorte que cette dernière dimension soit effectivement prise en compte. Les dossiers doivent montrer que les équipes ont réfléchi cette question et intégré des éléments dans ce sens, en termes de problématique, de définition des objets de recherche, le cas échéant de partenariat (scientifique et opérationnels), de mode de communication des résultats de la recherche, de présence dans les lieux de débat opérationnel sur leurs sujets de recherche ;

– la participation de représentants qualifiés du « développement » (acteurs publics ou Ong). Une compétence scientifique ou une connaissance de la recherche est nécessaire pour qu’ils puissent jouer leur rôle dans les instances de validation des programmes de recherche en coopération (et dans le CA ou le Conseil scientifique de l’agence spécialisée s’il y en a une) ; seule façon que ces critères ne soient pas marginalisés en pratique dans l’analyse ;

– la participation ad hoc de représentants du développement dans les instances d’évaluation ex post des programmes, en fonction des thématiques et des spécialités (voire dans les conseils scientifiques d’UR  lorsque cela se justifie).

2.Promouvoir des projets européens de recherche en coopération de taille raisonnable

Les nouvelles modalités de la recherche à l’Union Européenne favorisent les gros consortiums. Lourdes à gérer quelque soit le thème, ces modalités sont particulièrement néfastes pour la recherche en coopération : les projets montés en partenariat avec des structures du Sud, incluant une dimension de formation et de renforcement des capacités, peuvent difficilement atteindre une masse critique suffisante. La participation d’unités de recherche du sud à de gros consortiums où les problématiques du Sud sont marginales ne peut qu’être limitée, de même que leur capacité à contribuer effectivement au montage et à la définition scientifique. Les projets de taille intermédiaire comme ceux d’INCO-DEV dans le cadre du programme précédent (2 ou 3 pays du Sud, 5 à 10 partenaires, 500 à 1000 K€) sont beaucoup plus favorables à de réels partenariats,  productifs en termes scientifiques et de renforcement de capacités.

La ligne « pour le développement » des programmes de recherche européens devrait continuer à mettre en avant des projets de cette taille.

3.Favoriser les programmes de recherche en partenariat opérationnel

Les programmes de recherche pluridisciplinaires, finalisés, gagnent en légitimité scientifique . Les structures de recherche en coopération ont une certaine expérience de programmes de recherche adossés ou articulés – selon des modalités variables – à des projets de développement : sur la trypanosomiase, sur l’irrigation dans les Andes, sur la nutrition infantile, sur la gestion des ressources naturelles, etc. Il ne s’agit pas de transformer les chercheurs en développeurs, mais au contraire de promouvoir des partenariats opérationnels  où chacun fait son métier, dans la reconnaissance de celui de l’autre, autour d’un même objet (cf. Sebillotte, 2001). Les différentes expériences montrent que ceci est productif, tant du point de vue de l’action (qui se voit enrichie des questionnements et connaissances issues de la recherche) que pour la recherche, qui a accès à des expérimentations in situ, peut suivre les processus de changement, est amenée à déplacer son questionnement ou à ouvrir de nouvelles questions de recherche.

De tels partenariats entre équipes de recherche et opérateurs restent marginaux. Ils sont peu ou pas valorisés par les institutions de recherche, ils entraînent des « coûts de transaction » liés au montage et au pilotage de tels projets, auxquels les chercheurs ne sont pas habitués et qu’ils ressentent comme des « pertes » de temps et de capacité de publication. Pour ces raisons, ils relèvent essentiellement de l’engagement personnel de certains chercheurs seniors, ayant construit leur légitimité académique. Ces « pertes » se traduisent pourtant souvent – dès lors que les montages sont cohérents – en pertinence accrue et en nouveaux questionnements de recherche.

Encourager de tels projets demande de les valoriser, de les faciliter :

– en leur donnant une valeur particulière lors de l’examen des dossiers (des points supplémentaires, en plus de leur valeur scientifique) ;

– ou en ciblant sur de tels projets une partie des financements accordés aux projets de recherche en coopération ;

mais aussi :
– en systématisant les expériences sur les conditions de réussite de tels partenariats, de façon à développer une culture partagée, en termes de négociation des problématiques, de contractualisation, de pilotage des projets, de propriété intellectuelle, etc. Un premier travail dans ce sens avait été commandité par l’Orstom au Gret en 1996. Il y a là des apprentissages à développer, des savoir-faire à partager. Une « charte du partenariat entre recherche  et opérationnel » pourrait utilement être élaborée dans ce sens ;

– en dégageant quelques moyens supplémentaires pour financer le montage et le pilotage de ces projets, selon une logique de « coût incrémental » (ou en prenant en compte ces coûts dans l’analyse des budgets proposés).

4.Favoriser les passerelles entre mondes de la recherche et monde du développement

Une meilleure articulation entre ces deux mondes passe par une meilleure connaissance réciproque des métiers et des conditions de leur exercice. La mobilité est un outil pour cela, utili-sée entre structures de recherche du Nord, et aussi en faveur des chercheurs du Sud (postes d’accueil à l’IRD, par exemple). La réflexion sur la mobilisation de l’Université va aussi dans le sens d’une plus grande mobilité entre dispositif général de recherche et d’enseignement et structures spécialisées dans la recherche en coopération.

Ces politiques de mobilité pourraient utilement s’élargir aux Ong. Bien que la recherche ne soit pas le métier des Ong, un certain nombre d’entre elles en font, et certaines personnes en leur sein mènent une activité de recherche et de publication académique parallèlement à leur travail opérationnel. Des postes d’accueil (1 ou 2 par an ?) voire des recrutements pourraient être réservés à des personnes issues du monde des Ong et ayant fait la preuve de leur capacité à mener un travail de recherche. Offrant à ces personnes une possibilité de prise de recul, de recherche de fond, voire une interface facilitant la poursuite d’une carrière académique, ces postes d’accueil contribueraient à l’ouverture des thématiques et des questionnements de la recherche et à une meilleure articulation entre questions de développement et questions de recherche sur le développement. Là encore, il ne s’agit pas de brouiller les frontières et les métiers, mais de favoriser de façon volontariste les passerelles. A partir du moment où ces personnes relèvent d’un statut privé, dans leur organisation, les postes d’accueil devront intégrer leur prise en charge complète (CDD) et non les seuls coûts de fonctionnement.

5.Favoriser des contributions Nord/Sud aux grands débats internationaux

Tant la recherche du Sud que la recherche française a du mal à se faire entendre dans les grands débats internationaux. La recherche française (et plus largement la pensée francophone sur le développement) a pourtant des approches et des résultats à faire valoir. Promouvoir systématiquement des contributions conjointes, mobilisant chercheurs français et chercheurs du Sud pourrait être une façon de rendre les deux plus visibles, tout en valorisant les partenariats scientifiques établis.

Références

Sebillotte M., 2001, « Des recherches en partenariat «pour» et «sur» le développement régional: Ambitions et questions », Natures Sciences Sociétés, vol 9 n° 3, pp. 5-7.

Sebillotte M., 2001, « Les fondements épistémologiques de l’évaluation des recherches tour-nées vers l’action », Nature Sciences Sociétés, vol 9 n° 3, pp. 8-15.

Vielajus, J.L., Lavigne Delville Ph., 1996, La valorisation sociale à l’Orstom, Paris, Gret.

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