2005: Pour des politiques communales de gestion des ordures ménagères dans les villes secondaires

Depuis une dizaine d’années, Ong et projets de développement s’intéressent à la question des ordures ménagères urbaines. Ils promeuvent souvent des GIE, passant contrat avec les  ménages pour enlever leurs ordures, et collectant les ordures par charrette à âne.
 
Cette note m’est inspirée par la lecture du draft du travail de capitalisation d’expérience sur 7 villes secondaires sénégalaises, coordonné par Cécile Broutin et Virginie Rachmuhl, et par l’article de E.Dorier-Appril et C.Meynet sur « la gestion disputée des services de base ». Elle tente de mobiliser les éléments très riches de ce travail de capitalisation pour réfléchir en termes de politique communale.

Ces systèmes de GIE ont en général permis une extension du service, là où il n’existait pas, le service communal se limitant le plus souvent aux axes goudronnés. Mais ils rencontrent : 1/ de gros problèmes d’équilibre financier, du fait que l’adhésion est facultative et que la demande est faible ; 2/ les problèmes classiques des GIE suscités de l’extérieur: dynamique collective faible, accaparement par un responsable etc.

De fait, le service des ordures ne relève pas d’un service public marchand, où le paiement se fait en fonction de la consommation (eau, électricité, etc.). Dès lors, il ne peut relever d’une logique strictement marchande : pas grand monde est prêt à payer volontairement pour voir ses ordures enlevées, d’autant qu’il y a des alternatives (décharges sauvages, enfouissement, emmener aux bennes voisines, etc.). C’est la nature même du service qui fait que cela ne peut fonctionner sur une logique purement privée, sauf à considérer que seuls les ménages aisés des quartiers périphériques prêts à payer ont droit au service, ce qui ne résout rien sur le fond. C’est bien le problème que rencontrent les GIE qui tentent de promouvoir leur service de façon autonome, et il est normal.

Dès lors, il faut bien une prise en charge publique (la commune met en place un dispositif et le finance) et/ou communautaire (le quartier s’organise pour qu’il y ait du nettoyage, en mobilisant le travail bénévole, en mettant en place une quasi-taxe en rendant obligatoire l’abonnement et en contractualisant avec des collecteurs collectifs ou individuels) de l’organisation du service. Je dis « et/ou » car il peut y avoir des articulations, et c’est même souhaitable.

Cette prise en charge consiste à définir une politique, à partir de la situation concrète (de la diversité des situations des quartiers à l’échelle de la commune, des modes actuels réels de gestion des ordures ménagères), assurant la mise en œuvre d’une filière effective et efficiente de gestion des déchets (collecte, stockage, traitement, etc.), cohérente sur l’ensemble de la filière, et offrant un service le plus large possible.

Qui dit politique, dit choix, en fonction d’une gamme de possibles. Il y a là des problèmes de moyens, et donc d’efficience, ce qui pousse :
à raisonner en « segments de filière » articulés, avec, par exemple, les camions sur les axes goudronnés et les marchés, une collecte par charrette à âne dans les quartiers denses, l’enfouissement ou les zones de collecte dans les quartiers périphériques ;
à des arrangements institutionnels originaux mobilisant une gamme de solutions possibles (et donc à mobiliser des acteurs divers, communaux, communautaires et privés) à partir de ce qui existe (collecteurs privés, décharges sauvages, etc.) ;
– à un montage institutionnel évolutif, où le type de service proposé évolue en fonction de la structure du quartier, des moyens communaux, de la capacité de prise en charge locale.

Le tout dans un souci de cohérence de la filière, d’effectivité du service, de progressivité.

Politique communale cohérente et effective, efficience de la filière sont les deux principes de base (et c’est bien dans ce sens qu’on n’est pas dans de la dépossession néo-libérale, contrairement à ce que semblent supposer Dorier-Appril et Meynet).

Cette politique communale peut s’appuyer (et gagne sans doute à s’appuyer dans de nombreux cas)
sur les organisations de quartier, pour des questions de choix du type de service (rapport coût avantage pour les habitants, choix partagé, capacité d’organisation collective et de contrôle social), bref de régulation locale  (c’est là où on est dans du « communautaire ») ;
sur des acteurs privés locaux ou des organisations de l’économie sociale pour la mise en œuvre. Ceux-ci, de par leur nature, ayant recours à des moyens techniques, et étant capables d’assurer le service à un coût plus faible que les « grosses » entreprises qui ont du matériel lourd (camions, bennes), et (peut-être, sans doute) des coûts salariaux plus élevés. Notons qu’un comité de quartier peut parfaitement contracter avec un ou des collecteurs privés individuels : la question de l’efficience comparée des collecteurs privés locaux et des GIE reste à mon avis entière tant qu’on ne l’a pas analysée sérieusement, et Dorier-Appril a raison de souligner que le modèle des GIE de jeunes peut en pratique évincer ces collecteurs existants.

Dans cette perspective, on peut raisonner en « segments de filière » ; Il semble effectivement cohérent que, pour les quartiers suffisamment denses, où l’enfouissement ou le compostage, couplés à une benne vidée de temps en temps ou des sites de dépôt un peu mieux structurés ne suffisent pas, et là où les camions-bennes (lorsqu’ils existent) ne vont pas, des solutions de type pré-collecte asine ou équine soient mis en place, dans un raisonnement global de filière (de la production au traitement et à la décharge finale), et donc où la question d’évacuation des produits de la pré-collecte est traitée.

Pour autant,
ce n’est pas nécessairement le seul modèle, et d’autres modes d’organisation peuvent exister ailleurs
cela peut recouvrir des arrangements institutionnels différents : modes de paiement du service, rapports entre GIE, associations de quartiers et commune, etc.

Tout l’enjeu est dès lors de favoriser l’élaboration d’une stratégie cohérente, et efficiente, permettant d’organiser les rapports entre les différents acteurs pour que ça fonctionne (rapports géographiques : qui intervient où, et selon quelles modalités ; rapports le long de la filière : articulation entre pré-collecte et transport à la décharge/traitement, place des éventuelles sous-filières de tri, de recyclage, etc.).  C’est là où on retrouve les questions des formes de délégation, les questions contractuelles, etc.

En termes de financement, on est donc dans une logique, non de paiement direct du service, mais bien de taxe, qu’elle soit prélevée directement et en tant que telle, incluse dans d’autres modes de prélèvement (avec l’électricité), ou prélevée localement par des « abonnements forcés sous pression sociale locale ». Notons que le paiement direct aux GIE avec pression sociale locale pour pousser à l’adhésion s’apparente à une taxe versée directement au prestataire du service, sans passer par la commune ou le comité de quartier. C’est une forme un peu ambiguë, faute de mieux. Je ne vois pas comment cela peut être une solution durable, je ne suis pas sûr qu’il faille l’encourager, sauf peut-être transitoirement, en apprentissage. Il semble plus logique d’avoir une contractualisation directe par les communes (ou les quartiers : si les quartiers ont la capacité à organiser une cotisation systématique – et transparente-, ne serait-il pas plus logique de les appuyer dans ce sens ?) ; voire les entreprises dans le cas d’une délégation à une entreprise.

Le problème de la taxe est double. Il faut la prélever (cf. ci-dessus).Il faut assurer une effectivité et une efficience du service alors même qu’il n’y a pas de lien direct entre réalité du service à l’usager et paiement comme dans une relation marchande classique :
Effectivité : que l’argent soit bien utilisé à ça, par la mairie et par les entreprises, et que le travail de collecte soit fait. Cela renvoie à la gestion communale et à la qualité des contrats (où il doit y avoir des choses précises sur le service à rendre, la façon de le rendre – matériel, rythme, zones concernées, etc., des clauses sur le paiement sur service rendu, des modalités de suivi et des pénalités financières en cas de non-respect des engagements), à leur supervision : la commune doit être en mesure de superviser la réalisation du travail (ne serait-ce que par des retours des chefs de quartiers si ça ne marche pas, etc.). Cela vaut tant pour les « grosses » entreprises que pour les GIE sous contrat.

Efficience, c’est plus compliqué : Comment dimensionner ? A quel prix estimer la juste valeur du service rendu par l’entreprise ou le GIE ? Paie-t-on assez pour que cela permette un service durable, qui ne s’arrête pas dès que la benne est en panne ou que l’âne est mort ? Ne donne-t-on pas une rente de situation aux en-treprises ou aux GIE ? C’est là où, en théorie tout au moins, la logique de concession, pour une durée déterminée mais suffisamment longue, avec appel d’offres, permet d’ajuster (en tous cas lorsqu’il y a suffisamment de références pour que l’entreprise, d’un coté, la commune de l’autre, puissent estimer correctement les coûts ). En théorie, car on sait bien (sur l’eau en France) que le privé n’est pas forcément plus efficient qu’un public bien géré, et que les concessions cachent du clientélisme politique, de la surfacturation, des ententes, etc. (ce qui a toutes les chances de se passer en Afrique… dans un contexte où, cependant, la capacité de services communaux à assurer un service effectif et efficient n’est pas évidente).

Il y a donc un besoin de régulation : supervision de la bonne exécution du contrat, suivi du recouvrement de la taxe, renégociations éventuelles, en cours de contrat pour ajuster les prestations demandées en fonction de l’évolution du contexte, où les communes ont un rôle essentiel et doivent être en mesure de le jouer (ressources humaines, compétences, etc.), et éventuellement comités de quartiers là où il y a pré-collecte, au moins en termes de participation à la supervision, peut-être en termes de financement (taxe locale) et d’organisation du service. Sachant que, évidemment, les enjeux ne sont pas seulement des enjeux de qualité du service. Ce sont aussi (et surtout?) des enjeux de clientélisme politique, de captation de rente, etc.

En termes de coordination sur la filière, une meilleure coordination entre pré-collecte et entreprises de transport/traitement, là où elles existent, est effectivement nécessaire. On peut se demander quelle est la meilleure façon. Est-ce vraiment par une série de contrats bilatéraux, entre la commune et l’entreprise, la commune et les pré-collecteurs ? ou bien, sur un schéma clair (où il y a de la précollecte, où l’entreprise intervient directement), par des contrats de sous-traitance : la commune passe un contrat global avec l’entreprise, avec des obligations de service dans les quartiers, et l’entreprise contracte des pré-collecteurs à traction asine pour réaliser le service dans ces quartiers ? dans ce cas, c’est elle qui assume les coûts de transaction et de coordination (et non pas la commune) et a intérêt à ce que cela fonctionne bien, pour être elle-même payée, et pour gagner de l’argent (il faut alors que les tarifs de base soient définis) .

Il peut être logique et cohérent pour la municipalité de subventionner les acteurs de la filière. D’un point de vue logique, il me semble que le paiement du service par la commune à partir de taxes est le plus cohérent. On sait qu’elles n’ont pas forcément la capacité de collecter suffisamment de taxes, dès lors les systèmes d’abonnement local plus ou moins forcés par la pression sociale peuvent avoir leur justification. Dans cette optique, il vaut mieux plus d’abonnés payant un peu moins que moins payant plus.

Même si le choix de la commune va en faveur d’un service privé, sil est avéré que ce service de pré-collecte ne peut s’autofinancer, alors il est logique pour la commune de subventionner : elle a ainsi au prix de la subvention d’équilibre le même service que si elle le finançait intégralement ! il faut donc encourager ce type de subvention (avec la difficulté à l’estimer correctement. Qu’est-ce ça représente par rapport au budget global de gestion des ordures par la municipalité ?) Par ailleurs, il peut être aussi logique de subventionner des filières de recyclage déficitaires, si la subvention d’équilibre est à peu près équivalente ou moins chère que le coût de collecte et traitement des kilos d’ordures ainsi sorties de la filière (sachant qu’en plus, c’est mieux en termes environnemental et que ça crée de l’emploi).

Si ce cadre de raisonnement est juste, les GIE sont un moyen parmi d’autres d’assurer la pré-collecte, et non pas une fin en soi. L’enjeu par rapport aux communes est de promouvoir l’idée d’une politque communale, d’inciter à prendre en compte l’hétérogénéité des situations, de faire reconnaître l’intérêt conceptuel d’un dispositif hybride public/privé/économie sociale ou régulation communautaire pour assurer un service élargi, sans présager du détail des choix institutionnels en termes d’organisation du service et de régulation, choix qui vont dépendre des contextes, des négociations entre acteurs, des apprentissages.

Références
Dorier-Apprill E. et Meynet C., 2005, « Les ONG: acteurs d’une «gestion disputée» des services de base dans les villes africaines ? », Autrepart,  n° 35, pp. 19-37.

Rouyat J., Broutin C., Rachmuhl V., et al, 2006, La gestion des ordures ménagères dans les villes secondaires du Sénégal. Vers des politiques municipales incluant les quartiers périphériques, Études et travaux en ligne n° 8, Paris, Gret, 91 p.

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