(NB. ce texte reprend l’introduction et la section de conclusion du chapitre V de mon livre Aide internationale et sociétés civiles au Niger (2015, Paris/Montpellier/Marseille, Karthala/APAD/IRD). Après avoir situé ce projet dans la politique européenne et les Accords de Cotonou, puis décrit les hésitations sur les finalités à donner à ce projet, je décortique dans ce chapitre comment les choix de « mise en instruments » réalisés pendant sa conception ont amené à une série de simplifications qui visaient à rendre opérationnel le projet, mais ont eu pour résultat de fortes dérives par rapport aux objectifs politiques qui lui étaient assignés et l’internalisation de contradictions ingérables, qui ont ensuite traversé toute la phase de mise en œuvre. Le PASOC est le « projet d’appui à la société civile » de l’Union européenne, défini entre 2003 et 2007 et mis en œuvre entre 2008 et 2011 (phase I) par une UGP (unité de gestion de projet), sous la tutelle de la DONGAD (direction des ONG et associations de développement du Ministère du développement communautaire).
Comme toute action publique, un projet de développement est mis en œuvre à travers une série de dispositifs institutionnels[1], d’outils, de procédures : le PASOC, c’est des bureaux, des salariés, une tutelle administrative, un comité de pilotage, des voitures, des ordinateurs, des budgets, un manuel de procédures, des appels à propositions, des programmes d’activités, un site internet, etc. C’est aussi une masse de contrats, de rapports d’activités, de rapports financiers, qui circulent entre les organisations financées ou les prestataires et l’UGP, entre l’UGP, la DONGAD, la Cellule d’appui à l’ordonnateur du FED et la Délégation. C’est cet ensemble complexe et hétérogène qui est censé internaliser les objectifs politiques assignés au projet et les concrétiser à travers les actions qu’il met en oeuvre.
La conception d’un projet ne s’arrête pas à l’étude de faisabilité qui en dessine les contours. Le passage d’un « projet virtuel » dessiné en quelques dizaines de pages dans la faisabilité à un « projet en acte » suppose de nombreuses autres étapes de traduction, qui vont préciser des choix, définir des outils ou des procédures, et en même temps vont redéfinir le projet ou le faire évoluer, vont résoudre certaines ambigüités et en introduire d’autres. Le fait d’affecter certaines tâches à certains acteurs crée une « structure d’incitation » qui va partiellement orienter leurs pratiques, dans des sens qui ne sont pas forcément ceux qui étaient souhaités.
Soulignant “the strong interconnection that exists between project designs (causal theories, e.g., summarized in logical frameworks), policy models (frameworks and approaches, e.g., sustainable rural livelihoods) and the wider policy of a donor agency (e.g., participatory and poverty focused development)”, Mosse (2004 : 640, note 1) adopte une definition large de “policy as project design, model and approach”. Son centre d’intérêt, remarquablement analysé dans Cultivating development (Mosse, 2005) porte sur les disjonctions entre politique et pratiques de développement et sur le travail permanent des agents de développement et des consultants pour « maintaining coherent representations regardless of events » (Mosse, 2004 : 640).
Il est clair qu’une politique est « tout autant définie par les actions qui la façonnent que par son contenu », lequel est d’ailleurs tributaire des modalités de mise en oeuvre (Massardier, 2003 : 85). Le PASOC est pour l’UE le moyen[2] de concrétiser au Niger sa nouvelle politique vis-à-vis de la société civile, d’autant que la Délégation n’a pas produit de document explicitant sa stratégie en la matière. La formulation du PASOC est en même temps la définition de la politique, laquelle n’est pas définie en tant que telle (et le fait que le projet soit la stratégie permet d’éviter de l’expliciter et d’affronter explicitement les choix politiques sous-jacents). De ce point de vue, le PASOC représente bien une “policy as project design, model and approach”.
Pour autant, malgré ces fortes interactions entre « policy models » et « project design », on ne peut pas considérer qu’ils se superposent. Il y a entre ces deux dimensions aussi une série de disjonctions et de traductions, qui sont d‘une autre nature que celles qui scandent la définition des finalités parce qu’elles posent plus directement la question de l’opérationnalité, de la capacité à mettre en œuvre, en fonction des conceptions de l’action publique à l’œuvre, des normes bureaucratiques en vigueur, des instruments disponibles ou possibles à inventer. Dans le quotidien de la mise en œuvre d’un projet de développement, le jeu d’incitations et de contraintes au sein duquel agissent les agents du projet n’est pas tant défini par les « policy models » généraux (vis-à-vis duquel, comme Mosse le montre bien, il y a des disjonctions fortes et des marges d’interprétation), que par les règles du jeu de la mise en œuvre, par le « project design ». Et si les « bonnes politiques sont impossibles à mettre en œuvre », c’est aussi parce que « l’opérationnalisation » de ces politiques, leur traduction en instruments, en dispositifs, en procédures, etc. pose des contraintes spécifiques.
P. Lascoumes et P. Le Galès (2005b : 12) appellent « instrumentation de l’action publique » « l’ensemble des problèmes posés par le choix et l’usage des outils (des techniques, des moyens d’opérer, des dispositifs) qui permettent de matérialiser et d’opérationnaliser l’action gouvernementale ». En mettant en avant la question des instruments, il s’agit d’acter le fait que « l’action publique est un espace socio-politique construit autant par des techniques et des instruments que par des finalités, des contenus, des projets d’acteur » (idem), que « le choix de la voie d’action, qui peut d’ailleurs faire l’objet de conflits politiques, va structurer en partie le processus et ses résultats » (idem : 28).
S’intéresser à l’instrumentation comme problème et comme choix n’est donc en aucun cas sacrifier à une lecture technicisée de l’action publique : c’est au contraire reconnaître la dimension politique – ou plus exactement indissociablement technique et politique – des dispositifs, instruments, procédures. C’est poursuivre « un travail de déconstruction via les instruments » (idem : 13), et approfondir la question des rapports complexes et des disjonctions entre politique et pratiques en ouvrant la boite noire du processus de « mise en instruments ».
Nous poursuivrons dans ce chapitre l’analyse du processus de conception du PASOC sous cet angle, avant de mettre l’accent sur les problèmes centraux posés par cette mise en instrument et les contradictions et dérives qu’elle a induite par rapport aux objectifs affichés du projet.
En poursuivant l’analyse de la genèse du PASOC au-delà de la conception au sens strict, et en ouvrant sur la mise en œuvre, il s’agit ici de souligner trois points. Tout d’abord, la conception ne s’arrête pas à la signature de la convention de financement, mais elle se poursuit en pratique dans les choix des modalités de mise en œuvre et leur adaptation. Ensuite (et c’est un résultat classique de la socio-anthropologie du développement, et même plus largement de l’analyse des politiques publiques), les résultats d’un projet ne sont jamais le décalque des objectifs initiaux, mais le fruit contingent des jeux d’acteurs qui se nouent autour de l’intervention, et en particulier des réinterprétations et des pratiques des acteurs chargés de sa mise en œuvre. Ils sont très dépendants des configurations d’acteurs en place et de leurs relations. Pour autant, enfin, les difficultés concrètes rencontrées dans la mise en œuvre d’un projet sont, pour une part souvent importante, la conséquence de controverses non réglées, de choix initiaux discutables, de contraintes de procédures, bref la conséquence de la somme de choix, de paris, d’impasses, de compromis qui ont produit le projet tel qu’il a été formulé. Les tensions, conflits, qui émaillent la vie d’un projet sont d’autant plus vifs qu’ils renvoient à ces contradictions.
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Entre objectifs stratégiques et pratiques du projet : instrumentation et internalisation des contradictions
Ciblage sur de petites OSC inexpérimentées, complexité de la procédure d’appel à propositions, hyperprocéduralité et transfert des risques sur les OSC, sous-dimensionnement des équipes, contradictions des temporalités : tous ces éléments convergent pour faire de l’appui à la société civile tel que pratiqué dans la composante régionale du PASOC un dispositif finançant des OSC basées dans les régions et capables d’entrer dans ce moule bureaucratique. Sauf à supposer que les petites organisations régionales seraient par nature plus vertueuses que celles de la capitale, un tel dispositif ne garantit pas « l’orientation à la responsabilité sociale » des organisations sélectionnées, mise en avant comme critère essentiel par l’étude de faisabilité, pas plus que la pertinence et la qualité des projets proposés. Il met au contraire l’accent sur le respect de normes formelles, complexes pour de telles organisations, en partie inadaptées voire surréalistes, orientées vers la redevabilité envers le financeur et non vers la redevabilité interne à l’organisation. Il les soumet à des contraintes formelles de rédaction de projet, évinçant une part importante des OSC initialement ciblées, ou les obligeant à passer par les services rémunérés de fonctionnaires et de consultants au risque de perdre leur vision propre. Il les soumet à de fortes contraintes de temps et de procédures, qui les obligent à raccourcir le calendrier prévu (déjà très limité pour prétendre avoir un impact), à consacrer un temps énorme au suivi comptable et budgétaire et à trouver des pièces présentables.
Dans un programme comme le PASOC, les procédures sont très compliquées. Le travail qui est prévu dans l’offre technique, c’est assez titanesque et souvent on a l’impression que la motivation, ce ne sont pas les résultats auxquels vous devez aboutir, mais plutôt la réalisation des objectifs financiers. Un programme n’aura pas réussi s’il n’a pas utilisé les 11 jours prévus, s’il y a 30% de la consommation du budget. Quelle que soit la qualité des résultats, il aura échoué ! Mais lorsqu’un programme est à 90% de décaissement, c’est vraiment la réussite ! On se pose très peu la question de savoir ce que cela a apporté concrètement aux structures. (expert PASOC)
Dans son analyse de l’IBRFP, David Mosse met l’accent sur les disjonctions entre « policy » et « practices ». Citant Quarles van Ufford (Quarles van Ufford, 1988), il considère que “ the work of organisations is more immediately shaped by their own ‘system goals’ –those of organisational maintenance and survival – than by the formal policy goals” (Mosse, 2005 : 103) : “as a program develops a set of workable interventions, the logic of planning inevitably becomes from solutions to problems” (idem : 110); “The project organisation’s system and procedures, and its pressure to meet targets and disburse underspent budgets, also influenced the programme choices (…) There was a systematic preference for familiar and conventional programmes over complex or risky initiatives” (idem : 116), ce qui a induit un “shift from a system that was open and interactive to one that was relatively closed and controllable” (idem : 117).
Pour lui, les logiques propres des organisations impliquées dans la mise en œuvre des projets s’imposent et renvoient au second plan les objectifs politiques du projet, en particulier lorsque ces derniers supposeraient flexibilité, innovation, prise de risque. La mise en œuvre du PASOC confirme cette analyse. Régulièrement, les consultants et certains membres de la Délégation ont souligné qu’il s’agissait d’innover, d’éviter de susciter de l’opportunisme. Ils ont insisté sur la durée, la nécessité d’agir dans une logique d’accompagnement, de coupler la formation à l’action. Ils ont posé le problème de l’inadaptation des procédures de l’UE par rapport aux organisations ciblées. Mais l’opérationnalisation du projet a amené à le simplifier au risque de vider de son sens l’ambition de peser sur la gouvernance des organisations. Les logiques financières du bureau d’études ont induit une internalisation des procédures, voire leur durcissement. Les enjeux de timing ont abouti à réduire la durée des financements octroyés au détriment du sens.
Bien sûr, cela ne s’est pas fait de façon mécanique. Les acteurs chargés de la mise en œuvre du projet n’appliquent pas mécaniquement les consignes. Une analyse centrée sur la mise en œuvre du PASOC aurait détaillé les jeux d’acteurs complexes, les tensions internes, les tentatives de jeu avec les procédures, les négociations, pour tenter de réaliser tant bien que mal les activités prévues, pour tenter de relier logiques locales, logique projet et objectifs du projet. Mais mon objet n’est pas un bilan de l’action du PASOC. En choisissant de porter le regard en amont de la mise en œuvre, mon but n’est pas de négliger ces jeux d’acteurs complexes, et la façon dont ils influent, dans un sens ou un autre, sur le cadre opérationnel et institutionnel au sein duquel ils agissent, sur le choix des activités menées et la façon de les mettre en œuvre, et sur les résultats du projet. Cette dimension de réappropriation et réinterprétation des politiques par les acteurs chargés de la mise en œuvre est largement mise en évidence, tant par la socio-anthropologie du développement que par l’analyse des politiques publiques. L’objectif de ce chapitre était d’interroger les logiques de la mise en instruments d’un projet, et ainsi d’approfondir la question des disjonctions entre politiques et pratiques, en ouvrant la boîte noire de l’instrumentation.
David Mosse, on l’a vu, considère ensemble « modèles de politiques » et « conception de projet ». L’analyse de l’élaboration du PASOC montre que ces deux dimensions se recoupent largement et qu’elles se superposent en partie dans les étapes de la conception du projet. Mais elle montre aussi qu’elles renvoient à des types de processus différents, qui ont une importance qui s’inverse dans le temps et qui ne mobilisent pas tout à fait les mêmes acteurs. Elle montre que les disjonctions se construisent d’abord au sein même du « modèle du politique » qui, malgré les efforts de rationalisation et de mise en cohérence, est à des degrés divers ambigu, flou, contradictoire, parce qu’il résulte de la superposition de visions opposées et de problématisations successives dont les contradictions ne sont que partiellement arbitrées, et aussi, peut-on penser, parce que le flou contribue à construire un consensus apparent sur les finalités du projet : « s’il fallait que tous les acteurs s’accordent sans ambigüité sur la définition de ce qu’il faut faire, alors la probabilité de réalisation serait très faible, car le réel demeure longtemps polymorphe […]. C’est seulement en fin de parcours et localement que l’essence viendra au projet » (Latour, 1992 : 47).
Mais c’est surtout l’instrumentation, qui fait partie intégrante de la conception du projet (puisque les grands choix sont stabilisés dans la convention de financement) mais qui se poursuit aux débuts de la mise en œuvre du projet et, dans des moindres mesures, tout au long de son histoire, que ces contradictions s’accentuent, puisque la gamme des instruments disponibles, le choix des instruments et de leurs modalités de mise en œuvre, imposent leurs propres contraintes, leurs propres logiques, parfois en cohérence, souvent en contradiction avec les options de politique. « Les instruments à l’œuvre ne sont pas des dispositifs neutres, ils produisent des effets spécifiques indépendamment des objectifs poursuivis et qui structurent, selon leur logique propre, l’action publique » (Lascoumes et Le Galès, 2005 : 29).
Mosse souligne à juste titre que les équipes projets ont leurs logiques institutionnelles et que, une fois la mise en œuvre commencée, celle-ci tend à l’emporter sur la politique. Mais ces équipes agissent dans un cadre contractuel et financier défini, qui dépend à la fois du bailleur de fond et de ses propres règles administratives et financières (plus ou moins rigides), et du caractère plus ou moins ouvert du projet. Les choix de mise en œuvre, le type de dispositif, l’organisation interne des actions, les règles budgétaires et comptables qui s’appliquent, les instruments disponibles, font partie de la conception du projet, et ont leurs effets propres. Le fait que, à cette époque, l’appel à propositions ait été le seul instrument disponible ou presque pour des subventions, et que ses règles aient été conçues pour d’autres types d’organisations, induit de façon quasi-mécanique une logique bureaucratique de formulation des projets des OSC et de sélection. Les assouplissements dont la nécessité a été mise en avant peuvent difficilement être mis au point dans le cadre d’un projet, parce qu’ils supposent un investissement conceptuel et méthodologique pour imaginer des modalités alternatives, une capacité à les négocier et les faire accepter par le bailleur de fonds, alors même qu’elles peuvent paraître risquées pour le bureau d’études en cas de contestation par un futur auditeur, qu’il y a une pression à mettre en œuvre les actions prévues, et que, de plus, le dispositif organisationnel (les ressources humaines, leur charge de travail) rend de toutes façons peu réaliste une démarche plus qualitative d’accompagnement des OSC dans la préparation de leur projet. Dès lors, l’application mécanique des instruments n’est pas obligée[3], mais la probabilité de négociation d’espaces de jeu se réduit. Bureaucratisation de la mise en œuvre, sous-dimensionnement des équipes et logique de sous-traitance généralisée, appels à propositions sans adaptation des procédures se conjuguent et se renforcent mutuellement.
De ce point de vue, l’instrumentation du PASOC a « internalisé les contradictions » (Lister et Nyamugasira, 2003). Les arbitrages politiques avaient réduit les ambitions des Accords de Cotonou en occultant la dimension de « dialogue politique » au profit des seules organisations de base, avec des interrogations sur l’effet structurant de ce choix. Par étapes successives, l’instrumentation a aggravé les contradictions entre le choix du type d’organisation visées et les instruments disponibles, entre volonté de renforcer et saupoudrage, entre méfiance vis-à-vis de l’opportunisme et procédures de sélection bureaucratique éliminant tout critère qualitatif « d’orientation à la responsabilisation sociale ». Dès lors que le cadre d’action des équipes est défini par les dispositifs organisationnels, les budgets, les instruments financiers, d’une part, et des objectifs quantitatifs d’autre part, il est logique que, face à des ambitions démesurées en termes d’objectifs généraux et d’actions prévues, d’une part, et des modalités de pilotage qui mettent l’accent sur la mise en œuvre des activités prévues et le décaissement, d’autre part, la mécanique de la mise en œuvre s’autonomise par rapport à la finalité affichée. Le « project design » et les logiques de la mise en œuvre l’emportent.
Les règles du PASOC diffusent finalement une conception de l’action de développement où ce qui compte est le formalisme, des documents projets bien « ficelés », des rapports des rapports techniques et financiers recevables par le financeur. Où le sens de l’action et son impact pour les populations ne sont pas la priorité et peuvent même être la variable d’ajustement. Où l’essentiel est de savoir présenter des rapports propres où rien ne dépasse, quel que soit finalement leur lien avec la réalité des pratiques. Bref, une conception de l’action de développement qui reproduit les travers de l’aide par projet, alors même que toute la réflexion initiale du PASOC avait mis en avant une critique forte des organisations opportunistes et des bureaux d’études déguisés, et l’inadaptation des pratiques de l’aide aux OSC.
Cela ne veut évidemment pas dire que les OSC financées n’ont rien fait, ou n’ont pas tiré parti de ce financement. Le PASOC I a financé des actions variées, certaines très originales dans leur thème (la sécurité routière, la récupération d’enfants « vendus », l’accès à l’Etat-civil, comportement des enfants en milieu scolaire) ou dans leur méthodes (théâtre, etc.). Mais ce que les participants à l’atelier de capitalisation ont largement mis en avant, comme motif de satisfaction, c’est le fait de savoir désormais « ficeler un projet ». Ficeler un projet, c’est monter un dossier « qui passe ». C’est savoir faire des comptes-rendus d’activités et financiers « qui passent ».
De telles compétences sont une ressource importante pour des OSC cherchant des financements, qu’elles fassent un travail de terrain remarquable ou qu’elles soient dans une logique exclusive de rente. Mais du fait de la faiblesse de l’accompagnement sur le fond, et d’insistance sur le respect formel de règles comptables exigeantes, on peut craindre que les apprentissages aient plus porté sur le « ficelage de projets », sur la façon de rendre des rapports techniques et financiers propres, que sur les façons pertinentes de promouvoir la citoyenneté dans les contextes locaux. D’autant que l’absence de suivi de proximité a induit un rapport finalement très bureaucratique entre le projet et les OSC, fondé pour l’essentiel sur les rapports, avec la difficulté à évaluer la réalité des actions sur la seule base des rapports.
oui, il y a eu une carence de suivi. Il n’y a pas la possibilité, du fait du manque de ressources humaines, et en plus, les OCR n’ont pas été encouragés à le faire, ni par le chef de composante, ni par le chef de projet. Parfois, on peut même se demander si les activités ont réellement eu lieu. Les gens sont tellement forts pour faire des beaux rapports… (expert PASOC)
La volonté de toucher des OSC de base, plus « pures » moins opportunistes, n’a été que partiellement remplie, du fait de la dérive sur la cible évoquée ci-dessus. En témoigne le fait que la culture du per diem était bien intégrée[4] : considérant qu’il était injuste que les participants résidant à Maradi n’aient pas de perdiem, et sachant que les règles de l’UE interdisaient toute négociation sur ce principe, certains participants à l’atelier final de capitalisation ont organisé une collecte volontaire en faveur des participants résidant à Maradi « pour que chacun puisse avoir quelque chose »…
Bibliographie
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Latour B., 1992, Aramis ou l’amour des techniques, Paris, La Découverte.
Lister S. et Nyamugasira W., 2003, « Design Contradictions in the ‘New Architecture of Aid’? Reflections from Uganda on the Roles of Civil Society Organisations », Development Policy Review, vol 21 n° 1, pp. 93-106.
Massardier G., 2003, Politique et action publiques, Paris, Armand Colin.
Mosse D., 2004, « Is Good Policy Unimplementable? Reflections on the Ethnography of Aid Policy and Practice », Development and Change, vol 35 n° 4, pp. 639-671.
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Olivier L., 1988, « La question du pouvoir chez Foucault: espace, stratégie et dispositif », Canadian Journal of Political Science, vol 21 n° 1, pp. 83-98.
Quarles van Ufford P., 1988, « The myth of rational development policy: evaluation versus policy making in Dutch Protestant donor agencies », in Quarles van Ufford P., Kruijt D. et Downing T., ed., The Hidden Crisis in Development: Development Bureaucraties, Tokyo and Amsterdam, United Nation and Free University Press, pp.75-98.
Raffnsøe S., 2008, Qu’est-ce qu’un dispositif?, Symposium, pp. 44-66.
Ridde V., 2010, « Per diems undermine health interventions, systems and research in Africa: burying our heads in the sand », Tropical Medicine and International Health, vol 28, doi: 10.1111/j.1365-3156.2010.02607.x.
[1] Je prends ici le terme « dispositif » au sens restreint et descriptif d’ensemble plus ou moins organisé et cohérent d’acteurs, de formes organisationnelles, d’objets et non pas au sens foucaldien plus large. Sur la polysémie du terme et ses usages chez Foucault et dans la sociologie de la traduction, cf. Beuscart et Peerbaye, 2006. Pour les significations chez Foucault lui-même, cf. Olivier, 1988; Raffnsøe, 2008.
[2] Un des moyens, normalement, puisque cette politique devait se traduire aussi dans de nouvelles pratiques de dialogue de l’UE avec la société civile sur ses politique d’aide au Niger.
[3] On reviendra au chapitre VI sur la question de l’interprétation des procédures et les espaces de jeu.
[4] Sur les effets pervers de la culture du per diem, largement suscitée par l’aide internationale, cf. Berche, 1996 ; Ridde, 2010.
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