(extrait de Lavigne Delville, P., 2024, Les transactions foncières et marchés fonciers
ruraux et péri-urbains au Sénégal. Essai d’état des lieux, Regards sur le foncier, Paris,
Comité technique Foncier & développement/IPAR/Pôle foncier, 39 p.)
Notre panorama [sur les transactions foncières marchandes en milieu rural et péri-urbain au Sénégal] a permis de mettre en lumière plusieurs marchés fonciers différents (plusieurs ensembles de transactions foncières marchandes), qui ne portent pas sur les mêmes terres et/ou ne mettent pas en jeu les mêmes acteurs. Sur les terrains agricoles, deux grandes logiques peuvent exister, simultanément ou non : les logiques internes à l’agriculture familiale et la demande d’acteurs externes, urbains en général, demandeurs de terre pour investir leur épargne et/ou développer des activités productives. Le marché du faire-valoir indirect, essentiellement interne à l’agriculture familiale, apparait largement plus développé que celui de l’achat-vente, qui n’existe pas dans certaines régions et, là où il existe, il est stimulé, quand ce n’est pas réservé aux acheteurs externes dotés de moyens financiers.
Le marché de l’achat-vente de terres agricoles pour des acteurs externes repose à la fois sur des logiques productives (vergers, fermes, petit agrobusiness) et des logiques d’investissement d’épargne voire de spéculation. En effet, il se centre dans les zones à fort enjeu (le delta du Sénégal, les périphéries urbaines plus ou moins lointaines) et, en péri-urbain, ces domaines sont, tôt ou tard, rattrapés par le front d’urbanisation, les « jardiniers du dimanche » pouvant alors lotir et vendre eux-mêmes leurs vergers. Ce marché peut induire un changement significatif du contrôle des terres, et une reconversion des agriculteurs, comme cela a été le cas de longue date en périphérie de Dakar. L’impact sur les moyens d’existence dépend des usages antérieurs et de la vitalité de l’agriculture familiale. L’expansion urbaine suscite un autre type de marché, qui porte sur des parcelles de taille plus réduite, pour la construction, issue de terrains agricoles (« urbanisation par le bas », parcelle par parcelle, hors lotissement ou morcellement) ou par l’intermédiaire de lotissements ou de morcellements (il s’agit alors de lots d’habitation normés, au sein d’aménagements qui vont de la simple délimitation à la maison construite et raccordée aux services d’eau et d’électricité). Selon les cas, les ventes de terrains à construire répondent à une stratégie de reconversion hors d’une agriculture en crise, à une opportunité de revenus – les ruraux pouvant être éblouis par un montant qui leur semble énorme mais ne pas compenser la perte de moyens d’existence – , et/ou à des stratégies d’anticipation devant des risques de pertes de leurs terres du fait de projets étatiques ou privés soutenus par l’Etat.
Ces trois marchés (du faire valoir indirect en agriculture, de l’achat-vente de terrains agricoles ou non aménagés, de terrains d’habitation, à construire ou construits) se combinent ou non, en fonction des contextes. Ils s’influencent mutuellement, au sens où une forte demande urbaine pour des terres agricoles accroît réduit les terres disponibles pour le faire-valoir indirect et peut en durcir les conditions, et où, de la même façon, l’ampleur de la demande de terrain pour l’habitat fait subir une forte pression aux marchés fonciers pour l’agriculture. Ils sont reliés au sens où un propriétaire de verger, ayant acheté auprès d’un villageois, peut ensuite morceler et revendre en lots d’habitation.
Ces différents types de transferts marchands ne représentent cependant qu’une partie, d’importance variable, des modes d’accès à la terre pour les différents demandeurs :
- l’héritage demeure majoritaire en agriculture familiale, et aussi pour une part importante de la demande de terrain à bâtir des familles habitant les villages et les bourgs ;
- les prêts et autres arrangements non marchands de faire-valoir indirect continuent à jouer un rôle essentiel dans de nombreuses régions ;
- la conversion des sols pour l’habitat passent par des chemins variés, non marchands : immatriculation au nom de l’Etat puis bail à un promoteur[1] ; arrangement entre propriétaires, communes et géomètres pour des morcellements ;
- l’accès aux lots d’habitation peut aussi passer par des voies non marchandes : attribution d’un terrain ou d’un lot en intra-familial ; attribution par la mairie sur les lotissements.

Tableau 4. Les principaux modes de transferts de droits fonciers (élaboration : Ph.Lavigne Delville)
Ce tableau propose une représentation d’ensemble, nécessairement schématique, de ces trois marchés et des acteurs qu’ils mettent en relation, au sein d’un panorama global des modes de transferts fonciers.
[1] Bien que supposant une redevance annuelle, fixée en fonction de la valeur du terrain, les baux emphythéotiques accordés par l’Etat relèvent plus de la faveur ou des transferts organisés par la puissance publique que du marché. Voir tableau 2 dans Colin et al (2022 : 72).

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