Mars 2025 – Autoroute A 69 : ce qui est absurde, c’est qu’aucune courroie de rappel n’ait fonctionné avant !

Le tribunal administratif de Toulouse a jugé que l’autoroute A69 ne relevait pas d’une « raison impérative intérêt public majeur » amenant à stopper le chantier. Les réactions n’ont pas manqué : c’est « ubuesque », « totalement absurde ». Oui, stopper un projet aussi avancé pose de nombreuses questions. Mais ce n’est pas la décision du tribunal qui est absurde. C’est bien plutôt qu’aucune des « courroies de rappel » censées garantir l’intérêt général n’aient fonctionné à temps. Petit retour historique.

Dans le cas de l’A69, dès 2016, le Commissariat général à l’investissement émet de sérieuses réserves : l’étude économique est obsolète, les calculs de fréquentation et de gain de temps sont biaisés, les choix institutionnels faits sans étude d’alternative : « le projet présente une faiblesse majeure du fait qu’il envisage exclusivement le recours à une concession autoroutière » (p.7) (qui plus est, avec subvention d’équilibre et donc un coût pour les finances publiques). Les avantages paraissent surestimés dans les études. « Pour le même engagement financier de l’Etat et des collectivités locales, un simple aménagement routier procurerait des gains de temps substantiels en maintenant une gratuité pour les usagers de la route » (p.8).

En Octobre 2016, l’avis (n°2016-62 du 6 octobre) de l’Autorité environnementale regrettent que plusieurs questions importantes soient renvoyées à plus tard et recommande d’étudier les variantes, en particulier l’aménagement de la RN 126 : «Les hypothèses retenues pour l’évaluation socio-économique du projet présentant des biais d’optimisme ou bien des erreurs » (p. 3) ; le choix d’une autoroute neuve « revient à ce que l’État et les collectivités locales déboursent une subvention d’équilibre de l’ordre de 220 M€ en une fois et dans un délai rapproché. Un effort analogue pour financer des travaux de mise à 2×2 voies permettrait de traiter une partie très substantielle du tracé » (p.17). De fait, des propositions de réaménagement de la RN 126 ont été faites en 2016 à l’initiative d’élus et d’associations. Elles n’ont jamais été prises au sérieux. L’enquête publique a eu lieu en décembre et janvier 2017. Les préfets qui ont donné leurs autorisations n’ont pas pris en compte les réserves des commissaires enquêteurs, qui n’ont pourtant que peu pris acte de l’ampleur des avis défavorables. Le projet est déclaré d’utilité publique en juillet 2018. Dès octobre, Reporterre met au jour des conflits d’intérêts.

Les premières mobilisations datent de mai 2022.En septembre 2022, le Conseil national de protection de la nature (CNPN) émet un avis défavorable, regrettant que les alternatives n’aient fait l’objet que d’analyses sommaires et à charge, critiquant sévèrement les biais de l’étude environnementale, et considérant que « ce dossier s’inscrit en contradiction avec les engagements nationaux en matière de lutte contre le changement climatique, d’objectif du zéro artificialisation nette et du zéro perte nette de biodiversité ».

Mais le 25 septembre 2022, Jean Castex annonce la décision de réaliser l’autoroute et le choix des entreprises. Le 6 octobre 2022, l’Autorité environnementale actualise son avis et souligne à nouveau les nombreuses insuffisances des études : « ce projet routier, initié il y a plusieurs décennies, apparaît anachronique au regard des enjeux et ambitions actuels » en termes d’environnement. « La justification de raisons impératives d’intérêt public majeur du projet au regard de ses incidences sur les milieux naturels apparaît limitée ». Mais les travaux démarrent en mars 2023, suscitant la multiplication de manifestations et des recours. En 2024, l’enquête de la cellule d’investigation de Radio France met en évidence l’intérêt financier direct de Pierre Fabre dans le projet, et la présence à la tête d’un acteur important du consortium, Ardian, d’un proche d’Emmanuel Macron, ayant joué un rôle important dans le financement de la campagne présidentielle.

Plusieurs services de l’Etat ont donc à plusieurs reprises mis au jour la fragilité ou l’obsolescence des données censées justifier ce projet, l’enfermement dans des options prédéfinies et coûteuses, le fait qu’il soit contraire à l’intérêt général et à une bonne gestion des deniers publics, sans même parler des enjeux environnementaux (déboisements, espèce protégées, zone Natura 2000, etc.). Hélas, le fait qu’un projet passe toutes les étapes ne signifie pas qu’il soit solide et dans l’intérêt général. Dans le contexte actuel de dérèglement climatique et d’effondrement de la biodiversité, la question du rapport coût/avantages des multiples projets conçus des années auparavant se pose de façon accrue. L’Etat avait les moyens de rediscuter l’utilité du projet, en 2016, en 2021, en 2022. Il a décidé de passer outre, sans attendre la réflexion globale engagée fin en 2023 et qui a amené à annuler quelques projets. C’est l’enfermement dans ce projet dénoncé même par différents services de l’Etat qui a suscité les mobilisations et les recours successifs. La décision récente du tribunal administratif de Toulouse ne fait qu’entériner ces critiques récurrentes.

Ce qui est réellement ubuesque et absurde dans cette affaire, n’est-ce pas d’abord que le pouvoir politique ait choisi de passer en force, contre l’avis convergent et argumenté de différents services ? que les procédures censées garantir l’intérêt général soient contournées, les avis argumentés des services techniques mis de côté, les enquêtes publiques arrivent trop tard et ne soient pas suivies d’effets ? Qu’il faille l’engagement de chercheurs et de militants, à travers mobilisations, recours, blocages, parfois au prix de la répression, pour que les analyses faites par des services de l’Etat soient finalement entendues ?

Pour aller plus loin sur ce dossier, écouter le podcast du Monde (date non précisée, sans doute octobre 2023) : https://podcasts.lemonde.fr/lheure-du-monde/202311030300-autoroute-a69-tout-comprendre-la-controverse et de nombreux articles sur https://reporterre.net/.

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Une réflexion sur “Mars 2025 – Autoroute A 69 : ce qui est absurde, c’est qu’aucune courroie de rappel n’ait fonctionné avant !

  1. fascinating! 79 2025 Mars 2025 – Les conditions de concrétisation d’un concept d’instrument d’action publique. Les cas des Observatoires du foncier en Afrique electrifying

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