15 février 2012: La Grèce sous « ajustement structurel »

Article paru sur Lemonde.fr le 15 février 2012. A voir sur: http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/02/15/la-grece-sous-ajustement-structurel_1641874_3232.html

L’actualité confirme la dramatique dégradation de la situation économique en Grèce. Les témoignages sont effrayants.

Il est clair aujourd’hui que ce qui est imposé à la Grèce relève des mêmes logiques que les Plans d’ajustement structurel qu’ont connus les  pays africains dans les années 80, et que cela aura les mêmes effets : récession, explosion du chômage, basculement d’une part importante de l’économie dans l’informel, appauvrissement d’une part importante de la population, explosion des inégalités.
Rappelons-nous (il y a eu tant de crises financières depuis), avec la 1ère crise du pétrole, le monde connaît dans les années 70 un afflux de pétrodollars. En quête de débouchés, la finance prête de façon très libérale dans les pays du Sud. La dette publique et privé des pays en développement s’accroit, finançant en partie « l’économie réelle », en partie des « éléphants blancs », en partie des dépenses  publiques non maîtrisées. Le retournement des taux d’intérêt au milieu des années 70 fait exploser la charge de la dette, qui devient ingérable ; le service de la dette devient le premier poste de dépenses de l’Etat, les emprunts servent à boucher les trous et les aggravent. Au Mexique, la crise financière manque de mettre en faillite le système financier mondial.

Alors même que leur dette, en valeur, est dérisoire, qu’elle est une dette publique pour l’essentiel, que la responsabilité de l’endettement est partagée avec les prêteurs, les pays africains se voient obligés de réduire drastiquement leur déficit, sous peine de fermeture des robinets du crédit, ce qui les asphyxierait encore plus. En plein tournant néo-libéral, les Plans d’ajustement structurel des années 80 sont la potion amère infligée au patient : coupe dans les dépenses publiques, licenciements dans la fonction publique, baisse des salaires, suppression des subventions aux services sociaux.

S’y ajoutent (dogme néo-libéral oblige) une libéralisation économique brutale, soumettant des économies fragiles à la compétition internationale, et l’interdiction des taxes à l’importation, mesure protectionniste (« mon Dieu, quelle horreur ! ») qui finançait une bonne partie des ressources publiques. Les effets sont aujourd’hui bien connus : les recettes de l’Etat s’effondrent et donc sa capacité à rembourser ; les salaires ne sont plus payés, ou avec des mois de retards ; la fonction publique se prive de ses agents expérimentés, poussés à la retraite ou au départ, et s’affaiblit ; de nombreuses entreprises ferment, les débuts d’industrialisations sont tués dans l’œuf, aboutissant à une explosion du secteur informel et de la pauvreté. La santé devient payante, excluant une part croissante de la population. L’éducation s’effondre, avec des conséquences dramatiques et cumulatives : les jeunes d’aujourd’hui sont formés par des instituteurs, souvent contractuels, qui ont été eux-mêmes les  produits de cette crise et ont un niveau très faible.

Loin de relancer l’économie, les plans d’ajustement structurels l’ont structurellement affaiblie, réduisant la demande interne, favorisant l’invasion des produits étrangers. Coincés entre des mouvement sociaux (grèves à répétitions, dans la fonction publique et dans l’enseignement) et les exigences des institutions internationales, obligés de se soumettre pour avoir les financements, les élites renoncent à tout projet politique, et se positionnent en rentiers de l’aide. Les budgets étant validés par Washington, la redevabilité des élites politiques, le rôle du parlement, s’affaiblissent, la possibilité de choix politique et de débat démocratique aussi. La corruption explose, la petite (face aux retards de salaire) comme la grosse.

Dix ans après, les effets sociaux sont reconnus, et on tente « l’ajustement structurel à visage hu-main », c’est-à-dire la même chose, mais en subventionnant de l’extérieur un minimum de sec-teurs sociaux. Vingt ans après, alors que la charge de la dette demeure toujours aussi forte, que le cercle vicieux n’est pas rompu, il faut se résoudre à effacer les dettes. C’est la période des re-mises de dette, des contrats de désendettement. Le service de la dette diminue, certes, mais les impacts des PAS sont là. Les inégalités ont explosé, la pauvreté aussi, comme l’envie de départ des jeunes. Le taux de croissance à 6 ou 7 %, qualifié dans la presse de décollage de l’Afrique, est essentiellement dû à la flambée du prix des matières premières, confirmant l’enfermement de l’Afrique dans la fourniture de matières brutes, sans effets induits en termes de redistribution, de salaires, de réduction de la pauvreté.

Certes, les contextes sont très différents, les causes de l’endettement aussi. Les pays africains connaissent une forte croissance démographique, qui ont aggravé et continue à aggraver la situation. Leur niveau d’industrialisation n’avait rien à voir. Certes, dans les deux cas, les élites ont une responsabilité importante dans la situation de leur pays, leur gestion des deniers publics était loin d’être sans reproches. Clientélisme et néopatrimonalisme ont leur part de responsabilités dans la dette africaine. Les comptes publics grecs ont été maquillés.

Mais comment ne pas voir, justement, que, quelque soit le contexte, les mêmes causes produisent les mêmes effets, et que les potions brutales, les politiques d’austérité à court terme, enchaînant plan de rigueur sur plan de rigueur, ont pour effet de tuer le malade ?

 

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