23 mai 2012: Projets de développement et action publique : les contraintes de la temporalité

Un projet, c’est mobiliser des ressources pour un temps donné, pour des objectifs donnés. Un calendrier serré, des objectifs quantitatifs ambitieux, cela peut marcher si l’on est sur des actions très normées, peu dépendantes du contexte ou de l’engagement d’autres acteurs. Mais dès lors qu’on est sur une logique de mise en place de dispositifs publics censés être durables, dès lors que la mise en œuvre dépend de la bonne volonté de multiples acteurs qui n’ont pas tous intérêt à ce que les choses avancent, dès lors que le bon fonctionnement des organisations et des dispositifs promus dépend de leur appropriation par les acteurs locaux et de leur apprentissage de pratiques nouvelles, la logique projet risque d’aboutir à construire sur du sable.

Pour se donner l’illusion d’atteindre leurs résultats, certains bailleurs de fonds ont des procé-dures perverses : aucune possibilité de renégociation de la date de fin du projet, si les choses n’ont pas avancé comme prévu ; contrat avec le prestataire en paiement sur résultats. Autrement dit, vous vous êtes engagés sur cet objectif irréaliste de 100 que l’on a fixé pour vous (et que vous n’aviez que le choix d’accepter puisqu’il s’agissait d’un appel d’offre) ? Et bien, si vous n’arrivez qu’à faire 80, vous ne serez payés que 80 %. Même si vous avez dû faire face à des contraintes qui ne dépendent pas de vous. Même si le projet a été bloqué plusieurs mois du fait de dures négociations corporatistes avec des acteurs dont la contribution est indispensable, et qui ont bien compris qu’ils sont en position de force.  Même si vous avez réellement dépensé le temps de travail et les budgets de salaires prévus, le temps d’essayer de faire face à tout cela…

Evidemment, dans ce cas, le prestataire pousse à la roue : il ne peut pas se permettre de perdre de l’argent sur le contrat. En mettant les bouchées doubles à la fin, on arrive, au finish, à 95. Mais à quel prix ? On a fait comme si on savait faire, alors que les démarches et méthodologies ne sont pas calées. On a supprimé tout contrôle qualité, toute interrogation parce que ça ralentirait ou risquerait de remettre en cause des options. On a démultiplié les équipes sans pouvoir les former pour assurer une qualité et une homogénéité minimale. On finit à l’arrache, de façon mal finie, avec des gens que l’on laisse avec des trucs en plan… On négocie avec le bailleur la réception de ces prestations, même si le contrôle qualité n’a pas été mis en place. Parce que chacun veut garder l’apparence d’un projet réussi. « Regardez, nous avons atteint nos objectifs ». Et aussi parce qu’il faut bien solder les contrats. Parce que les équipes se disloquent et qu’il faut que les aspects contractuels soient soldés au plus vite.

Qu’importe si le travail est mal fait, si aucune appropriation n’est possible, si les gens sont largués avec des outils pas stabilisés, des formations au pas de course juste à la fin. Ils sont censés se débrouiller. On verra dans deux ans, si jamais il y a une autre phase qui commence. Et là, il sera facile de dire que les acteurs locaux sont restés passifs… alors que ce sont les modalités même de la mise en œuvre qui produisent ces résultats.

Toute ressemblance avec des projets existants ou ayant existé ne serait hélas ni fortuite ni imaginaire…

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