2002 – Transactions foncières et « petits papiers »

(extrait de Lavigne Delville P., 2002, Les pratiques populaires de recours à l’écrit dans les transactions foncières en Afrique rurale. Eclairages sur des dynamiques d’innovation institutionnelle, Montpellier, IRD, 22 p.)

Des stratégies d’empilement de « papiers » divers, un recours croissant à l’écrit

Dans la logique sociale du territoire, l’interconnaissance entre acteurs, la mémoire des « anciens », les arbitrages successifs rendus par les autorités foncières suffisent en principe à assurer une exploitation paisible des ressources, en assurant une régulation légitime de l’accès à la terre. Dans bien des zones rurales, cela continue à être le cas. Mais l’apparition de nouveaux arrangements institutionnels ne faisant pas l’objet d’une régulation de ce type, la multiplication de contestations d’arrangements antérieurs, font que les procédures coutumières ne sont plus toujours perçues comme suffisantes. De plus en plus d’autorités coutumières actuelles sont d’anciens migrants, d’anciens fonctionnaires, qui ont vécu plus ou moins longtemps hors du village et ne disposent plus de cette mémoire incorporée de l’histoire foncière. De plus, l’expérience du rapport à l’Etat (via les projets de développement), les cas de conflits qui dépassent l’échelle locale pour remonter au dispositif administratif et judiciaire, montrent l’importance de l’écrit. Pour gérer les rapports internes aux groupes sociaux locaux, dans des contextes d’évolution rapide des pratiques foncières, et plus encore dans une optique de rapport à l’Etat, l’écrit apparaît désormais à un certain nombre de ruraux comme un outil indispensable. Face au risque d’insécurité juridique, les paysans tentent d’accumuler les papiers, sans toujours savoir à quoi ils servent, en espérant qu’ils disposeront du bon en cas de besoin. On observe ainsi « une stratégie d’accumulation de traces écrites, d’empilement de papiers pour sécuriser les droits acquis » (Koné, Basserie et Chauveau, 1999). Faute de possibilité de copie, ou de registre, de tels documents sont souvent uniques et précieux.

Les papiers rencontrés sont très variés. Certains émanent de l’administration et ont une valeur officielle. D’autres sont issus de projets ou des services techniques : des cartes, des attestations diverses. D’autres sont des écrits paysans. On peut ainsi identifier :

  • des contrats entre individus, sur papier libre ou sur feuille de cahier ;
  • des contrats entre individus, validés par des autorités foncières coutumières ou administratives (en font partie les « certificats de palabre », procédure coloniale réactivée lors de la dernière relecture de la Réorganisation Agraire et Foncière au Burkina Faso, et qui, validant une « cession » de terre, permettent à l’acquéreur d’engager une procédure d’immatriculation (cf. Tallet, 1999));
  • des procès-verbaux d’arbitrage ou de justice (que ceux-ci soient rendus par les autorités coutumières – comme au Niger où la loi leur fait obligation de rédiger un procès-verbal systématique -; l’administration, ou la justice) ;
  • des attestations d’affectation de terre, délivrées par un chef de canton au Niger, ou un Conseil Rural au Sénégal, ou par l’administration lors de l’installation de migrants (AVV au Burkina) ;
  • des « livrets de terre » comme les livrets établis par un administrateur colonial au début des années 50 dans la région de Gao et Tombouctou au Mali et recensant les champs des différentes familles ;
  • des « certificats de notoriété », rédigés par les Cadi aux Comores ou les Bourgmestres au Rwanda (avant 1994) et faisant office d’attestation de propriété ;
  • des documents officiels mais sans valeur juridique (récépissé de demande d’enregistrement des droits, donné par une Commission foncière d’arrondissement au Niger);
  • des documents divers, émis par l’administration, mais sans valeur foncière théorique : attestations diverses émises par les agents des services techniques (attestations de plantations en Côte d’Ivoire ; document d’installation sur des zones aménagées).

A ces divers documents que peuvent détenir les ruraux en ce qui concerne leurs propres droits, s’ajoutent des documents collectifs, conservés par les autorités locales :

  • des « registres fonciers lignagers », comme au nord-ouest du Rwanda (André, 1999) ou dans la préfecture de Savé au Bénin (Edja, 1997) ;
  • plans parcellaires d’aménagements, mentionnant les bénéficiaires de parcelles dans des zones aménagées (villages AVV au Burkina, aménagements hydro-agricoles), et considérés comme preuves de droits;

L’histoire de ce recours à l’écrit, dans les différents contextes, reste à faire. Quelques éléments peuvent être avancés (Lavigne Delville, 2002).

L’écrit dans les procédures de négociation et de validation des transactions

Significativement, c’est essentiellement lors des « cessions », « ventes » et mises en gage, donc pour des transactions définitives (ou susceptibles de le devenir) et mobilisant de l’argent, que l’écrit est rencontré. Parfois, le contenu même de la transaction est euphémisé (on parle alors de « cession », de « don » et la somme en jeu n’est pas mentionnée. Dans d’autres cas, le transfert d’argent, la somme impliquée, sont explicites, plus que le contenu même de la transaction ou la localisation de la parcelle. De tels écrits sont plus rares dans les délégations de droits d’exploitation. Le recours au contrat écrit pour la mise en gage ou la location (contrats temporaires monétarisés) existe aussi, de façon moins systématique, ou plus récente, au Nord-ouest du Rwanda, où la pratique semblait se généraliser au début des années 90 (André 1999), mais aussi au Centre-Ouest de la Côte d’Ivoire, où un « petit papier » est rédigé pour tout versement d’argent, locations comprises (Koné et al, 1999 ; Koné, 2001), au sud Bénin (Edja, 2000) ou, plus rarement, dans l’ouest du Burkina Faso (Paré, 2000). Ils sont exceptionnels pour des contrats fondés sur le partage du produit, ce qui semble confirmer le lien entre transfert d’argent et recours à l’écrit[1] : dans les sites étudiés, on n’en a rencontré que dans la ceinture d’agrumes du Ghana (Amanor et Diderutuah, 2001), où les contrats de partage sur plantations sont le mode principal d’accès à la terre en dehors du groupe familial, et où une société privée d’exploitation des palmiers à huile contractualise avec les paysans. Là, les contrats, s’inspirant des contrats proposés par la société, sont même tapés à la machine.

Procédures d’établissement des contrats écrits, recours à des témoins ou à des autorités, contenu effectif des papiers, langue de rédaction, clauses explicitées, nombre d’exemplaires : les « papiers » recensés et analysés dans ces différents lieux sont très divers, tant d’une région à l’autre qu’au sein d’une même région où une grande diversité est observée. Peut-on pour autant en identifier quelques caractéristiques ?

Des contrats « incomplets »

Les contrats écrits sont souvent courts et laissent un certain nombre de clauses importantes non explicitées ou en tous cas non formalisées. Si l’identité des parties et le nom des témoins sont toujours mentionnés, le contenu exact de la transaction reste souvent flou (« cession »), l’identification de la parcelle en question est limitée voire absente, le montant versé n’est pas toujours mentionné (parfois pour cause d’interdiction légale). Les « clauses non foncières des conventions foncières », comme Chauveau appelle les obligations sociales liées à la relation foncière, ne sont jamais explicitées.

Même là où on observe une évolution du contenu des « papiers » dans le temps, les contrats sont donc largement « incomplets » au sens de la théorie des contrats, c’est-à-dire qu’ils n’explicitent pas l’ensemble des clauses, soit que cela n’apparaisse pas comme utile dans les réseaux locaux d’interconnaissance (la localisation exacte du champ, par exemple), soit que le flou relève de « malentendus productifs » ou de la volonté d’une des parties au moins de jouer sur les ambiguïtés. On rencontre aussi des manipulations de l’écrit, comme au Rwanda où l’acheteur fait mentionner une somme supérieure à la somme négociée et versée, pour se prémunir contre une annulation, ou au Burkina où les procès-verbaux déposés au Commissariat ne sont pas les mêmes que ceux qui sont conservés par les acteurs. L’inégale maîtrise de l’écrit dans la société locale ouvre en effet de nouvelles possibilités de manipulation.

Témoins, publicité et validation

Un élément important de la sécurité de la transaction est son caractère public : l’existence du transfert de droits est connu par les tiers. Les pratiques à ce sujet sont assez variées, en fonction de la légitimité des ventes de terre dans l’espace local, de l’existence ou non d’un consentement familial sur la vente, et de ses causes.

Même discrètes, les transactions mettent en jeu des témoins, de façon quasi-systématique. Elles mobilisent aussi fréquemment des autorités chargées de les valider ou de les attester. Plus que le contenu de l’écrit, les témoins (un ou deux pour chaque partie) sont donc une dimension essentielle de la transaction. C’est à eux que s’adresse le bourgmestre au Rwanda pour valider une transaction par une « attestation de propriété ». Ce sont souvent des parents, ou des amis, les personnes qui détiennent les parcelles voisines. La recherche, par les parents, d’une alternative à la vente afin de conserver l’intégrité du patrimoine familial, est même une étape de la procédure dans les Monts Mandara.

Outre les témoins, les parties recherchent fréquemment une validation officielle de la transaction. Il s’agit alors d’officialiser la transaction auprès d’une autorité (coutumière, religieuse[2] ou administrative – chef de village, maire, bourgmestre, parfois sous-préfet, voire Commissariat de Police comme au Burkina Faso). Les démarche varient là encore, entre les transactions conclues devant une autorité qui l’authentifie en signant le contrat en même temps que les témoins, et celles qui sont conclues entre les parties, lesquelles cherchent ensuite une validation par l’autorité de l’existence de la transaction, soit par un tampon ou une signature sur le contrat, soit par un acte administratif qui l’entérine (établissement d’un certificat de palabre au Burkina Faso, certificat de notoriété établi par le Bourgmestre au Rwanda).

Dans un certain nombre de cas, les protagonistes ne se contentent pas de la signature du chef de village et ont recours à une autorité liée à l’Etat, cherchant ainsi à sécuriser par rapport à l’Etat (ou du moins par rapport à l’autorité administrative locale, la procédure étant souvent non légale) des arrangements négociés sur le registre local. « Souvent en effet, l’intervention d’un acteur de l’administration locale (Commune au Rwanda, Conseil rural au Sénégal) vient valider ou confirmer – sécuriser – une transaction qui s’est réalisée juste auparavant dans le registre des relations privées entre les acteurs locaux d’une société locale, dans les registres de relations sociales choisis par eux » (Mathieu, 1999 : 24). Au Nord-ouest du Rwanda, « les communes font réaliser (par le conseiller de secteur ou l’encadreur agricole) une enquête préalable avant la vente pour vérifier que celle-ci est acceptée par la famille et les voisins. La proposition d’achat-vente est ensuite examinée par le Comité Communal de Développement, puis sanctionnée par un « Certificat de notoriété » émis par la Commune. Celui-ci est une simple déclaration enregistrée à la commune en présence de témoins, avec cachet de la commune et signature du bourgmestre, attestant que telle personne est maintenant propriétaire du champ situé à tel endroit » (id. : 26, d’après André, 1994). Ailleurs, la procédure peut impliquer les services techniques de l’Etat, comme pour le levé des plantations achetées par des migrants au Centre-ouest ivoirien (Koné, 2001).

Combinant principes coutumiers, principes contractuels, et validation par l’autorité locale, de telles procédures ne sont en général pas prévues par la loi, mais elles sont souvent pratiquées de façon ouverte par les autorités administratives locales, avec ou sans les encouragements de l’Etat, parfois en s’appuyant parfois sur des textes « détournés » de leur usage initial (Mathieu, 1999). Au Nord-Ouest du Rwanda, en Côte d’Ivoire, au Sud-Bénin, au Sénégal, (et sans doute ailleurs), on observe ainsi que des procédures régulières ont été mise en place par les autorités locales, en marge de la loi, afin de répondre aux demandes sociales des acteurs. On a ainsi des procédures de « formalisations informelles » des contrats (C.André), délivrées par les autorités administratives et reconnues par tous, mais en dehors ou à côté des procédures légales[3], et faisant l’objet de rémunération plus ou moins standardisée (des témoins, des autorités coutumières, des agents de l’administration).

« Enregistrements » et registres fonciers

Outre les contrats eux-mêmes, on a noté l’existence de registres. Ceux-ci peuvent être informels (le cadi stocke les différents hatwi qu’il a authentifiés, et dispose donc d’un recueil des transactions… ou du moins de celles auxquelles il a participé) ou relever de démarches plus systématiques. Ainsi, au Nord-ouest du Rwanda, les chefs de lignage (ou le conseil des chefs de lignage ?) notaient sur un cahier toutes les transactions ou arbitrages rendus, en les décrivant brièvement. Ces cahiers constituaient ainsi des embryons de registres fonciers, gardant la trace des évolutions foncières de la colline : il permettent de retrouver la trace des transferts ou des arbitrages, et est donc un recours en cas de litige. Au centre du Bénin, dans une zone de colonisation, Edja (1997) a montré comment les chefs de lignage ont, sous l’influence des membres du lignage installés en ville, transformé les installations de migrants en relation de location, tenant un véritable registre foncier des migrants installés, des terres octroyées et des redevances versées.

Étonnamment, de tels registres sont parfois absents là où on les attendrait le plus : auprès des instances administratives impliquées dans la gestion foncière. Ainsi, ce que les paysans appellent « enregistrement » à la commune, au Rwanda, est en fait la délivrance d’une attestation de propriété, sans qu’il y ait apparemment de double systématiquement conservé, et donc constitution progressive d’un système d’information foncière permettant de vérifier si telle ou telle parcelle n’a pas déjà fait l’objet d’une attestation (André, 1999). Au Sénégal, où les Conseils ruraux du Sénégal ont officiellement le pouvoir d’affecter les terres du Domaine National, des certificats d’affectation sont censés être donnés aux bénéficiaires, et un registre tenu de toutes les décisions d’affectations. Pour la zone de Kounghel, tout au moins, G.Blundo (comm. pers.) qui faisait une recherche sur le foncier n’a jamais pu avoir accès à ce registre, censé être public, dont les Conseillers parlent sans cesse mais que personne n’a jamais vu. Il ne serait pas étonnant que ce registre n’existe en fait pas, ce qui serait en fait assez cohérent avec le mode de gestion clientéliste et factionnaliste de la terre par les élus des Conseils ruraux (Blundo, 1996).

Conclusion

Bien qu’encore très partielle, la connaissance des pratiques populaires de recours à l’écrit dans les transactions foncière jette un éclairage nouveau sur les pratiques foncières contemporaines et les dynamiques d’innovation institutionnelle. Dans des contextes économiques et sociaux en évolution rapide, marqués par une prolifération des normes et une compétition entre instances d’arbitrage, les acteurs ne restent pas inactifs. Ils inventent de nouveaux arrangements institutionnels, de nouvelles procédures contractuelles. Même informelles, même incomplètement stabilisées, il existe des règles et des procédures suivies par les acteurs, qui apportent, avec plus ou moins d’efficacité, des éléments de stabilité.

Sous leurs diverses formes, l’usage des « petits papiers », conventions, certificats de palabre, dans les transactions foncières fait partie de ces innovations. Au delà du niveau des arrangements bilatéraux entre les parties, ces innovations institutionnelles concernent aussi les systèmes d’autorité, à travers les mécanismes de validation des contrats, sous une forme ou une autre, par l’administration locale et les diverses modalités de « formalisation informelle » (Mathieu, 2001) que l’on a évoquées.

Comme le souligne Chauveau (dans Chauveau et Lavigne Delville, 2002), dans un champ d’interaction caractérisé par : (i) la logique procédurale des acteurs (individuels et collectifs), (ii) la faiblesse d’un cadre légal stable et respecté et (iii) la complexité des caractéristiques du foncier et de ses usages, on assiste à une double dynamique d’innovation, par laquelle les acteurs tentent – tant bien que mal – de créer de nouvelles règles ou arrangements institutionnels, et de stabiliser certaines procédures de négociation ou d’arbitrage pour les garantir. En dehors ou parallèlement au marché ou aux règles garanties par les autorités publiques, ces dispositifs tentent d’assurer un minimum de prévisibilité dans l’action quotidienne et un minimum de sécurisation des droits fonciers acquis à plus long terme. Ils mettent en jeu tant des agents locaux appartenant à des organisations publiques officielles (mais qui agissent selon des normes non officielles mais au nom de la légitimité reconnue aux services de l’Etat) que des acteurs privés investis d’une légitimité locale, réalisant ainsi finalement une certaine sécurisation foncière combinant les deux types de légitimité.

L’écrit n’est qu’un élément de ces dispositifs institutionnels. Il ne suffit pas à garantir une transparence de la transaction ni à éviter toute ambiguïté. Et ceci pour deux raisons, qui sont liées entre elles : le caractère incomplet des contrats écrits, et la dimension fortement socio-politique de la régulation foncière.

D’abord, tous les acteurs ne sont pas demandeurs d’une clarification des transactions, ou du moins pas de tous les aspects. Les urbains qui achètent des terres veulent sécuriser leur achat mais pas nécessairement que leur emprise effective soit connue. Les autochtones en quête d’argent, d’un côté, les acheteurs visant un titre, de l’autre, peuvent préférer garder un flou sur le contenu effectif de la transaction. Le caractère incomplet du contrat ne peut donc être seulement analysé comme une étape dans une trajectoire évolutionniste, le produit temporaire d’une inexpérience en matière de rédaction. Il renvoie aussi à des enjeux stratégiques. Les cas de ventes de plantation décrites par Koné, Basserie et Chauveau (1999) et citées ci-dessus sont particulièrement explicites à cet égard. Dans un contexte où le contenu de la transaction ne fait pas l’objet de normes sociales explicites et partagées, le recours à l’écrit ne supprime pas ces ambiguïtés[4] : il traduit la façon dont les acteurs subissent et utilisent à la fois ce contexte d’indétermination, tentant de limiter les risques de comportement opportuniste de la part de l’autre partie, tout en se ménageant pour eux-mêmes le maximum de possibilités.

A travers ce qui est écrit et ce qui ne l’est pas, et tout en introduisant une dimension contractuelle plus explicite, le recours à l’écrit s’inscrit donc profondément dans la logique socio-politique et procédurale des rapports fonciers, où les arbitrages dépendent aussi de rapports de force, où les accords ou arbitrages peuvent être renégociés. C’est là la seconde raison.

La pluralité des autorités mobilisables, le statut incertain des normes et pratiques locales au regard de la loi, le caractère « semi-informel » des modes locaux de validation des transactions : tout ceci explique qu’un papier, qu’un contrat écrit, ne puisse en général être considéré comme suffisant, au delà même de ses limites formelles. L’existence d’un contrat écrit est une condition pas toujours nécessaire, et surtout rarement suffisante, de sécurisation foncière. Même validé par l’administration, un écrit peut-être remis en cause ou non accepté par des instances d’arbitrage, comme Lund (1999) en donne plusieurs exemples pour le Niger. Son effectivité reste fragile, tant qu’il ne s’inscrit pas dans des procédures stabilisées et dans des systèmes d’autorité qui le prennent en compte de façon systématique.

Dès lors, le rôle de l’écrit pour les acteurs n’est pas tant d’expliciter de façon exhaustive et sans ambiguïtés le contenu de la transaction que d’attester qu’elle a bien eu lieu, et devant quels témoins. Plus que la consistance des droits, c’est leur existence même qui est l’enjeu premier pour les acteurs (Lund, 1999) et c’est cette existence que l’accumulation de petits papiers cherche à argumenter. Ces différents « papiers » « signal the existence of a right and associate it one or several persons which seems often to be the necessary proof considering the nature of disputes » (idem : 120).

On peut penser qu’il y a un certain nombre de conditions pour que le contrat joue un rôle plus important dans la sécurisation foncière :

  • la clarification des normes acceptées localement sur les « ventes » (est-il possible, dans quelles conditions et selon quelles procédures garantissant l’accord des ayants droits, de céder une portion du patrimoine familial ? quels sont les droits effectivement cédés ? y a-t-il des restrictions à des cessions à l’extérieur à la communauté locale?) ;
  • la reconnaissance légale des « contrats sous seing privé » en matière foncière, par les différents acteurs publics ;
  • le légalisation des procédures de « formalisation informelle » impliquant l’administration locale, et la responsabilisant sur le respect des normes ci-dessus.

N’est-ce pas d’abord sur ces points, qui renforceraient la stabilité des dispositifs locaux, que porte la demande d’innovation institutionnelle que les ruraux (certains d’entre eux, en tous cas) adressent à l’Etat ?

Références bibliographiques

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[1] A Bodiba (Centre-ouest ivoirien), un arrangement original, appelé pukudre pakré a été identifié par Zongo (2000). Il permet de gérer les investissements liés à la réouverture d’une vieille plantation, et comprend trois phases, correspondant aux trois étapes de la remise progressive en production, avec des modalités contractuelles différentes. Seule la phase avec un versement d’argent de la part de l’exploitant fait l’objet d’un papier.

[2] Dans les cas étudiés ici, c’est seulement aux Comores que les autorités religieuses sont sollicitées, et encore ont-elles une place reconnue dans l’appareil administratif.

[3] Le procès-verbal de palabre fait figure d’exception, puisqu’il a été réintroduit dans la RAF à l’occasion de la dernière relecture. Toutefois, l’interdiction des ventes oblige là aussi à un contournement.

[4] Sauf lorsque le recours ultérieur à une autre procédure, légale, fait basculer le flou interprétatif. Comme par exemple le passage à la demande d’immatriculation.

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