De nombreux projets promeuvent l’agroforesterie et la régénération naturelle assistée des arbres dans les champs. Partant du principe que les arbres sont utiles d’un point de vue écologique, ils tendent à oublier que les arbres sont intégrés dans des systèmes agraires, qu’ils sont objets de droits d’appropriation et d’usage, et que les règles qui régissent le contrôle des arbres et de leurs produits ont une influence forte sur les intérêts à les protéger et la possibilité de le faire. Issu du projet RAMSES II[1]. Cette note propose une grille pour caractériser la gouvernance des arbres dans les parcs agroforestiers.
(extraits de Lavigne Delville P., Bidou J.-E., Diallo M., et al, 2022,
La gouvernance des arbres dans les parcs agroforestiers au Sahel. Cadre conceptuel et résultats du projet RAMSES Montpellier, IRD/UMR SENS/projet RAMSES II, 69 p.)
Les arbres dans les champs : ressources économiques et services écosystémiques
Les parcs agroforestiers sont constitués d’un ensemble de champs, dans lesquels la présence d’arbres, préservés lors de la défriche, est importante. Ils sont en lien avec les brousses et les jachères, dont ils sont issus et qu’ils peuvent redevenir.
Champs cultivés (et peut-être même différents types de champs), jachères récentes, vieilles jachères, brousses ou réserves forestières constituent des espaces-ressources différents, et peuvent relever de règles différentes, avec en particulier dans les jachères un droit du défricheur antérieur– et donc son contrôle sur les arbres – s’affaiblissant ou disparaissant dans les jachères lorsqu’on ne distingue plus la marque du travail, et un accès devant plus ouvert, voire libre, à leurs ressources.
Au-delà de l’espèce principale (le karité, le kad), un parc comporte souvent une diversité d’arbres, qui sont l’objet d’usages variés. Les droits sur ces arbres peuvent différer – à des degrés à déterminer empiriquement – des droits sur la terre qui les portent, tant en termes de contrôle que d’usages. Ils peuvent différer selon que l’arbre a été simplement protégé lors de la défriche, ou planté (le travail de plantation induisant en général un droit privatif au profit de celui qui a planté, droit devenant éventuellement un droit collectif du groupe des descendants à la génération suivante).
Ce n’est pas l’arbre lui-même qui est une ressource, mais les différents éléments qui sont utilisés : tronc et grosses branches pour la construction ou l’artisanat, branches pour le feu, feuillage pour le fourrage ou l’alimentation, fruits et noix pour l’alimentation humaine ou animale, racines, écorces, feuilles, fruits pour divers usages médicinaux et/ou rituels, etc. Chaque espèce est utilisée pour des usages variés, évolutifs, par des groupes d’usagers potentiellement différents. Ces différentes ressources peuvent relever de règles différentes, et évolutives, en fonction de l’enjeu économique qu’elles représentent, de leur rareté, et aussi des enjeux fonciers et symboliques des arbres concernés, l’usage des arbres étant fréquemment un témoin foncier (Pélissier, 1980).
Les arbres dans les champs remplissent par ailleurs différentes fonctions éco-systémiques (biodiversité, ombrage, infiltration de l’eau dans le sol, fertilité) qui, selon les espèces et leurs caractéristiques, la densité des arbres et leur entretien, et également les espèces cultivées dessous, ont des effets positifs ou négatifs sur les autres usages de l’espace, élevage, et surtout agriculture.
La possession des arbres et les décisions de protection de coupe, d’entretien
La possession des arbres est le plus souvent liée au contrôle foncier sur les terres concernées. Dans les systèmes fonciers soudano-sahéliens, le foncier est approprié au niveau de groupes familiaux plus ou moins élargis, issus originellement des groupes « autochtones » du village – c’est-à-dire ceux qui ont été autorisés par la famille fondatrice à défricher et qui, par là-même, ont constitué des patrimoines fonciers sur le territoire – ou de migrants ayant été « installés » sur des brousses ou des jachères longues. Ces patrimoines sont placés sous la responsabilité d’un aîné, responsable du patrimoine au nom du groupe familial, qui organise la répartition des terres entre les ménages qui le composent, assure des responsabilités auprès des membres en difficultés, et règle les conflits au sein du groupe. Ils sont progressivement étendus par la défriche et partagés, au fur et à mesure de la croissance du groupe et des scissions entre unités domestiques. Avec les évolutions socio-économiques, les grandes concessions pouvant regrouper une centaine de personnes dans une seule exploitation agricole ont largement cédé la place à des unités plus restreintes, où l’exploitation agricole (unité de production consommation) regroupe un ménage (chef d’exploitation, épouse(s) et enfants non mariés (et parfois quelques ménages apparentés : un frère, ou un fils non encore autonomisé) (Tallet, 1985, Raynaut and Lavigne Delville, 1997). Les unités de résidence, de production/consommation et d’accumulation ne coïncident pas nécessairement (Faye and Benoit-Cattin, 1979, Gastellu, 1978).
L’unité de production s’identifie en général par la présence d’un « grand champ » sur lequel est produit l’alimentation du groupe et d’un grenier, où est entreposé la récolte et où sont prélevés les céréales nécessaires aux repas. Ses frontières évoluent avec les évolutions des groupes domestiques, ceux-ci pouvant se scinder ou éventuellement se regrouper pour des besoins de main-d’œuvre ou lors de l’absence d’un époux. Elle exploite des parcelles qui peuvent avoir des origines variées : parcelles du patrimoine foncier indivis du groupe familial élargi, parcelles appartenant en propre au chef d’exploitation, parcelles obtenues par délégation de droits (faire-valoir indirect) auprès d’un autre responsable de patrimoine foncier, selon divers arrangements (Lavigne Delville et al., 2001).
Selon les cas, le partage du foncier suit ou non le partage entre unités économiques, au moment du décès du chef de famille. Dans le premier cas, le patrimoine foncier est approprié au niveau de l’exploitation agricole, responsable foncier et chef d’exploitation se superposent. Mais il est fréquemment géré à une échelle supérieure à l’exploitation, la famille élargie, qui correspond alors à l’unité de patrimoine foncier, qu’elles partagent ou non une résidence commune (« concession »). Conserver un patrimoine foncier indivis peut être temporaire, le temps de régler l’héritage (il regroupe alors les fils du défunt), ou plus durable. Cela peut préparer l’autonomisation des fils mariés, qui fondent une exploitation agricole autonome sur des parcelles affectées par leur père, constituant ainsi un pré-partage des terres. Dans de tels cas, le groupe familial possédant les terres ne se superpose pas à l’exploitation agricole (fig.4), le chef de famille élargi (l’aîné) est à la fois responsable du patrimoine et chef de son exploitation, les autres chefs d’exploitation (cadets, frères ou fils) exploitant sur des terres affectées par lui, ou pré-affectées par leur père avant son décès.

Figure 1. Organisations productives familiales (Colin and Rangé, 2022 : 107)
Les droits détenus sur les différentes parcelles qui constituent le patrimoine foncier varient selon le statut de la parcelle, ils peuvent être détenus par le responsable du patrimoine, même sur les parcelles affectées aux autres exploitations du groupe, ou bien leur être transmis. Ils sont le plus souvent conservés par le groupe possédant la parcelle lorsque celle-ci est cédée en faire-valoir indirect, le fait de conserver le droit de récolter les arbres servant de marquage foncier et l’interdiction de planter faisant partie de l’arrangement de délégation de droits. Mais ce contrôle peut être lâche dans les situations de disponibilité foncière et être contesté ou se diluer en cas d’installation de migrants sans limitation de durée.
La possession des arbres va le plus souvent de pair avec le pouvoir de décision sur leur devenir, à un double niveau :
- D’abord les décisions qui influent sur la structure du parc, sa composition, sa densité : suppression d’arbres devenus gênants, coupe pour des besoins de bois d’œuvre, protection ou plantation de nouvelles espèces, etc.
- Ensuite les décisions qui influent sur la forme des arbres, leur productivité, leurs services écosystémiques : élagage (coupe de certaines branches pour orienter le développement et la forme de l’arbre), émondage (coupe des rameaux ligneux et des repousses), etc.
Lorsque l’accès aux ressources des arbres relève de l’autorisation et non de normes villageoises, la possession des arbres implique aussi le pouvoir d’autoriser ou non les usagers potentiels.


Figure 5. Possession des champs et contrôle des arbres (source : Lavigne Delville)
Lorsque l’unité de patrimoine foncier regroupe plusieurs exploitations agricoles, le contrôle des arbres (et donc le pouvoir de décision) peut rester à l’aîné ou être dévolu au cadet qui exploite la parcelle. Ainsi dans une région du Nord Ghana (Poudyal, 2011), le karité est approprié au niveau des ménages mais le néré est contrôlé par les chefs de lignage même sur les champs des autres familles du segment de lignage. Lorsque le droit de cultiver est délégué à un tiers, les arrangements définissent si l’exploitant et sa famille ont ou non des droits d’usage des arbres, et lesquels.
Une telle lecture en termes de droits comporte le risque d’être trop carrée. Les droits peuvent être disputés, ou pas toujours parfaitement définis. Un droit ne dure que s’il est défendu. Ainsi, « property ownership » in Turkana District, whether it be land or in livestock, is not an undisputed right, but rather a claim that a person must always be ready to defend (Storas, 1987). If a person, for instance, is not able to protect the trees he has fenced (Ekwar), i.e., if no one is willing to support his interests, others may ignore his enclosure and collect fruits » (Barrow, 1990 : 168).
Les groupes d’usagers et leurs modes d’accès aux ressources
Les usagers sont à identifier empiriquement, par rapport aux ressources concernées et aux usages qui en sont faites (en particulier domestiques, ou pour la vente), mais aussi en les situant socialement dans les réseaux sociaux et les catégories sociales (genre, statut, rapport au village, etc.). Les usagers peuvent pouvoir prélever en tant que membres de groupes sociaux donnés (un ménage, une concession, un village), souvent distingués par sexe. Ils peuvent être aussi des parents (une femme ayant le droit de récolter sur les arbres de sa famille d’origine, un homme ayant le droit d’utiliser telle ressources sur les terres de sa famille maternelle), des acteurs spécifiques (des éleveurs, un tradipraticien, un artisan).
Pour chaque espèce présente dans les champs et pour chaque ressource de cette espèce, il faut donc identifier quel(s) groupe(s) d’acteur(s) utilise(nt) cette ressource, pour quel(s) usage(s), à quel titre et à quelles conditions. Les usagers peuvent se différencier selon le sexe, la spécialisation professionnelle, le statut social, les liens de parenté avec la famille qui contrôlent l’arbre, la résidence, etc. Les usagers ne sont pas nécessairement limités aux résidents du village : des parents de villages voisins peuvent avoir le droit de récolter sur les champs de leur famille, des commerçants peuvent envoyer des collecteurs. Le droit à prélever une ressource peut être soumis à des conditions, en termes de quantités prélevées, de techniques interdites, de périodes autorisées ou interdites (en particulier par rapport à la reproduction), ou de finalité du prélèvement (autorisé seulement pour consommation immédiate, sur place ; autorisé pour autoconsommation et pas vente, etc.).
Outre de son intérêt pour la ressource en question, la possibilité pour un acteur donné à récolter telle partie d’un arbre peut dépendre de ses savoir-faire et de ses capacités financières (si des outils nécessitant un certain capital sont nécessaires) (Ribot and Peluso, 2003). Elle dépend surtout de sa capacité à avoir accès à la ressource.
On peut identifier quatre types d’accès (fig. 3).

Figure 6. Les différents types d’accès (Lavigne Delville et al., 2022)
Les usagers relèvent de différentes catégories, selon les types d’accès :
- les « ayants droit » disposent d’un droit garanti de prélèvement sur une ressource en tant que membres d’un groupe social donné. Celui-ci a des frontières à déterminer : il peut correspondre au groupe familial restreint de la personne qui contrôle l’arbre, au groupe familial élargi correspondant à l’unité de patrimoine, éventuellement à un groupe familial plus élargi ou plus rarement à l’ensemble des résidents du village. La définition des ayants-droits (ceux qui peuvent récolter sans demander l’autorisation) marque la frontière avec les usagers autorisés et avec ceux qui n’ont pas accès reconnu.
- les usagers autorisés doivent demander l’autorisation à celui qui contrôle l’arbre. Cette autorisation peut être donnée sans restrictions lorsque la ressource est abondante, accordée à certains mais pas à d’autres en cas de compétition. Elle sert dans le premier cas essentiellement à marquer la reconnaissance du fait que l’arbre appartient ou est contrôlé par telle personne ou telle famille. Dans le second, elle permet de gérer la compétition, en garantissant une priorité pour les ayants-droits ou pour certains acteurs, voire en en excluant d’autres. L’autorisation peut avoir pour contrepartie un paiement ou un cadeau.
- En accès ouvert, aucune autorisation n’est exigée et l’accès est libre. Il peut cependant y avoir des règles d’évitement de la compétition (voir le cas du pastoralisme dans les plaines d’inondation (Moritz et al., 2013).
Enfin, il peut y avoir des utilisateurs non autorisés, qui enfreignent les règles. Cela peut être le cas lorsque la surveillance est difficile à assurer et que les utilisateurs non autorisés n’ont que peu de risques de se faire prendre, mais aussi lorsque les règles qui réservent l’accès à certains acteurs sont ignorées ou contestées par d’autres.

Figure 7. Ressources, modes d’accès et usagers des arbres (source : Lavigne Delville)
Coordination entre usages et influence des décisions des exploitants agricoles
Dans le cas des arbres, la question de la coordination des usages concerne essentiellement la gestion de la compétition entre arbres et culture annuelle. Il y a a priori peu de liens avec l’élevage (même si de nombreux arbres sont sources de fourrage). La compétition avec les cultures dépend des espèces d’arbres, des densités (part du champ en ombrage) mais aussi des cultures pratiquées et de leurs besoins. Dans le cas du Faidherbia, la concurrence est faible ou nulle, du fait que l’arbre n’a pas de feuillage en saison des pluies et que l’arbre améliore la fertilité du sol. Elle est très forte pour des arbres comme l’anacardier, au houppier étalé et dense, ou le karité.
Les décisions concernant l’évolution du parc (maintien ou coupe d’arbres, élagage, etc. – cf. ci-dessus) tiennent compte des concurrences et synergies entre cultures pluviales et arbres, et donc des coûts (perte en production annuelle, augmentation éventuelle de la pression parasitaire) et des bénéfices (alimentaires, médicinaux, économiques, etc.) apportés par les arbres, sachant que le poids des bénéfices économiques dans les arbitrages dépend de qui en profite. Si l’accès est ouvert, ou même réservé aux femmes du groupe familial, l’existence et l’importance de ces gains peuvent peser moins que si les ressources des arbres sont exploitées par les chefs de famille eux-mêmes.
Droits, normes et autorités
Le type de mode d’accès est défini par les normes locales, d’une validité villageoise ou même le plus souvent micro-régionale. Il s’impose donc aux détenteurs fonciers et ceux-ci ne peuvent décider qui a accès ou non que dans les régimes d’autorisation.
Le mode d’accès peut inclure des règles ou des restrictions sur les modalités d’usage :
- périodes autorisées ou non (avec interdiction de récolter pendant la période de reproduction, ou avant que les fruits soient mûrs) ;
- limitation des quantités prélevées ;
- usages autorisés ou non de la ressource prélevée (ex. possibilité de cueillir pour se nourrir sur place, mais pas pour emmener chez soi ou pour vendre) ;
- techniques autorisées ou interdites.
Les normes peuvent aussi porter sur les pratiques en termes de défriche (arbres à préserver) ou de protection des repousses.
La garantie du respect des normes, l’arbitrage des litiges, les éventuelles sanctions, dépendent d’autorités, de différent niveaux. La gouvernance des ressources est pluri-acteurs, comme on l’a vu. Aux pouvoirs locaux/coutumiers, dont les prérogatives et les capacités de régulation varient fortement selon les contextes, s’ajoute une série d’acteurs étatiques, mais aussi des responsables associatifs, des hommes politiques, etc. Le « dispositif local de gouvernance foncière » (Lavigne Delville and Hochet, 2005) est à analyser empiriquement, à partir de l’identification des fonctions réellement exercées, en termes de définition des normes, d’affectation de droits, de règlement de litiges, etc. Selon les cas, les différentes autorités peuvent être en synergie ou en concurrence, agir ou non de façon prévisible et concertée lors des litiges.
D’un point de vue coutumier, les responsabilités dépendent du niveau de décision et le règlement des conflits relève de l’autorité qui englobe les parties en présence. Globalement, les litiges intra-familiaux sont arbitrés au niveau des autorités familiales, et ceux qui mettent en jeu des acteurs appartenant à des groupes familiaux différents par les autorités coutumières locales. Mais certains acteurs peuvent avoir intérêt à mobiliser directement des autorités supra-villageoises ou administratives. Les conflits avec les éleveurs posent la question des autorités reconnues comme légitimes par les deux parties, les pasteurs transhumants pouvant préférer l’arbitrage de l’administration plutôt que celui du maître de terre, considéré comme trop en faveur des agriculteurs.
Dans les logiques coutumières, le pouvoir des autorités tient à leur maîtrise des rituels garantissant la paix sociale, la fertilité des terres, l’abondance des pluies, etc. et à leur capacité à faire advenir des sanctions. De nombreuses actions (dont le défrichement, la préparation des champs pour l’agriculture) sont soumises à des rituels, qui peuvent inclure des interdits. Ainsi, dans la région de Maradi au Niger, « toute implantation nouvelle était précédée d’un rituel demandant l’accord de ces divinités et les défrichements respectaient certains arbres censés leur servir de reposoir préférentiel, comme les tamariniers (s’amiya), Odina barteri (faru), Diospyros mespiliformis (kanya)…. De plus, chaque saison agricole et chaque saison de chasse étaient (sont encore de façon relictuelle) ouvertes par des rituels effectués au niveau de I’Etat, du village et du lignage » (Luxereau, 1997 : 57). Ces pouvoirs peuvent être remis en cause plus ou moins profondément lorsque les conversions aux religions du livre se diffusent. Les normes coutumières se confrontent, de façon plus ou moins directes selon les cas, aux normes étatiques. En particulier, en Afrique de l’ouest, les Codes forestiers considèrent que tous les espaces arborés relèvent du domaine forestier protégé et définissent un certain nombre d’espèces protégées, que les paysans ne peuvent couper sans autorisation. Cette liste intègre de nombreux arbres des parcs. Les arbres relèvent donc en théorie de l’Etat et non de la propriété des agriculteurs détenant les terres où ils poussent, qui les ont protégés ou plantés. Toute coupe suppose une autorisation de l’agent des Eaux-et-Forêts (rebaptisés services de l’environnement), et toute infraction soumet à une amende. La capacité des agents des services forestiers à contrôler effectivement les usages est limitée par leur petit nombre et la faiblesse des moyens de déplacements. Certains s’appuient sur des relais locaux qui peuvent dénoncer les infractions. Le risque réel de sanction dépend du risque de se faire prendre. Il peut être en pratique limité, mais le fait d’être légalement dépossédés du pouvoir d’exploiter les arbres peut contribuer à réduire la volonté de contrôle, des autorités coutumières comme des chefs de famille, et le souvenir amer des amendes peut être dissuasif, même si les cas sont en pratique peu nombreux.
Le droit d’exploiter et de couper les arbres est un des points de tension entre normes locales et normes étatiques. Même s’ils sont censés depuis les années 2000 endosser un rôle d’information et de conseil, les agents des services forestiers ou de l’environnement demeurent ancrés dans une culture militaire et de répression (Blundo, 2013) et les relations avec les ruraux sont souvent tendues. Au Mali, ils ont été les premières victimes des soulèvements paysans lors de la chute de Moussa Traore en 1991, ils sont une des causes de rejet de l’Etat dans les zones tombées sous la coupe des groupes armés (Benjaminsen and Ba, 2018).
Les chefs de village administratifs (souvent différents des chefs de terre), les communes, peuvent également jouer un rôle dans la gouvernance des arbres et des parcs. En fonction des lois de décentralisation spécifiques à chaque pays, les communes ont des responsabilités explicites ou non en termes d’environnement, de définition de règles locales sur les usages, etc. De plus, des ONG ou des projets peuvent introduire des règles spécifiques, le temps de leur intervention, règles qui survivent ou non à l’intervention.
Face aux problèmes posés par la pluralité des normes et des autorités, et face aux besoins nouveaux de régulation émergeant des évolutions sociales et économiques, de nombreux acteurs ont promu depuis les années 1990 le principe des conventions ou chartes locales (Djiré and Dicko, 2007). Ces conventions reposent sur le principe d’une négociation locale, entre groupes d’acteurs concernés et avec les services de l’Etat, des règles faisant sens par rapport à un enjeu donné (une mare, des ressources forestières, etc.). Il s’agit donc de définir des règles consensuelles, qui soient reconnues par la pluralité des autorités, et se concrétisent par un accord écrit, impliquant l’administration et rendu opposable aux tiers, par exemple par arrêté communal. Si ce principe des conventions fait sens, elles sont souvent mises en œuvre de façon mécanique, dans le cadre de projets à durée limitée, et leur effectivité est souvent problématique. La solidité des accords du point de vue des acteurs locaux et l’engagement des autorités à garantir leur mise en œuvre sont deux enjeux clés sous-estimés (Lavigne Delville and Djiré, 2012a, Lavigne Delville and Djiré, 2012b), ce qui demande de prendre au sérieux la question des conditions de négociation et la diversité des intérêts en jeu (Benkahla et al., 2013).

Figure 8. Schéma conceptuel de la gouvernance foncière et territoriale (source : Lavigne Delville)
Les différentes autorités ou instances qui peuvent intervenir dans la gouvernance des parcs sont donc potentiellement nombreuses (fig. 7). Les acteurs qui, en pratiquent, jouent un rôle effectif doivent être identifiés empiriquement, à partir des décisions qu’ils prennent et de leur effectivité. Leurs relations, synergiques ou concurrentes, également.
Tensions, conflits et dynamique de la gouvernance
Les usages des arbres des parcs ne sont pas statiques. Certains produits peuvent devenir ou cesser d’être des ressources. Les évolutions démographiques et économiques peuvent accroître ou réduire l’intérêt de certaines ressources, l’enjeu à les prélever ou à s’en réserver l’accès. Les évolutions sociales et politiques transforment les structures foncières et les droits des individus et des ménages. Les rapports entre migrants et autochtones évoluent. Les tensions sur les ressources, les contestations de règles, les conflits entre acteurs, peuvent traduire des conflits sur les règles d’accès et des demandes pour les renégocier.
Suite à ces évolutions, les règles peuvent changer, de façon progressive (des comportements nouveaux devenant progressivement tolérés, puis dominants) ou explicite, avec édiction de nouvelles règles. Cela peut être le fait des autorités coutumières, des chefs de village, des communes, etc. Des projets peuvent avoir incité à de nouvelles règles, appuyé la négociation de conventions locales, dont l’effectivité peut-être très variable (Djiré and Dicko, 2007, Lavigne Delville and Djiré, 2012a, Lavigne Delville and Djiré, 2012b, Benkahla et al., 2013).
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[1] Roles of Agroforestry in sustainable intensification of small farMs and food SEcurity for SocIetIes in West Africa, coordonné par Josiane Seghieri et financé par Leap Agri (https://www.ramsesiiagroforesterie.com/)
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