(extrait de Lavigne Delville P., Colin J.-P., Ka I., et al, 2017,
Etude régionale sur les marchés fonciers ruraux en Afrique de l’ouest
et les outils de leur régulation, Ouagadougou, UEMOA/IPAR, 275 p.)
Les transactions marchandes sur terres coutumières ne sont véritablement organisées et encadrées ni par la coutume ni par les dispositifs étatiques (cf. Les dispositifs semi-formels de formalisation des transactions foncières : atouts et limites). Les acteurs locaux sont laissés à eux-mêmes face aux implications de ces transactions, aux risques d’opportunisme ou de malversation qu’elles permettent. Il y a là une carence institutionnelle de la part de l’Etat, que les dispositifs semi-formels ne comblent qu’en partie.
La première priorité, en termes de régulation des marchés fonciers, est de mettre en place des dispositifs simples, opératoires, fiables, de formalisation et de validation des transactions sur la terre, qui sécurisent cédants et preneurs face aux risques d’opportunisme ou d’interprétation des contrats. L’enjeu premier est la sécurité des contrats, c’est-à-dire la protection des cédants comme des preneurs face aux risques de réinterprétation du contrat ou de non-respect de ses clauses.
Des dispositifs accessibles et opératoires pour formaliser, valider, enregistrer les transferts définitifs de droits sur la terre
On l’a vu, les acteurs locaux ont bricolé des solutions, sous forme de « petits papiers », de contrats sous seing privé, plus ou moins institutionnalisés dans la « coutume administrative ». Ces dispositifs locaux semi-formels sont à prendre au sérieux : ils sont les seuls à offrir une solution face au développement des ventes, dans un contexte de forte carence de l’offre publique ; ils offrent des réponses partielles, de proximité. Mais, ils ne peuvent pas être efficaces s’ils ne sont pas explicitement reconnus, soigneusement encadrés juridiquement et institutionnellement. En effet, les diverses formes de légalisation, d’affirmation des contrats par des autorités politico-administratives permettent de valider l’existence d’un contrat, mais ne répondent pas à plusieurs problèmes clés qui expliquent la prévalence des conflits.
Les faiblesses de ces dispositifs peuvent inciter à vouloir les supprimer et en créer de nouveaux. Or, même imparfaits, ils sont essentiels à prendre en compte même lorsque les Etats mettent en place des politiques volontaristes de formalisation des droits :
– les dispositifs conçus par l’Etat, dans une logique juridique et administrative, peinent à être opératoires sur le terrain. La trop forte juridicisation des procédures les rendent fréquemment inaccessibles, à une partie au moins de la population ;
– ils reposent, le plus souvent, sur le principe selon lequel, il ne peut y avoir de transactions sécurisée que sur une parcelle « entrée dans la vie juridique », qui est l’objet d’un titre, d’un certificat, d’une attestation ;
– si leur lien avec l’existant n’a pas été pris en compte, ces dispositifs vont s’ajouter aux dispositifs existants, au risque de doublons et d’inefficacité. Ainsi, l’expérience montre que les certificats ne se substituent pas directement aux contrats de vente, et que les procédures actuelles traitent peu le problème de l’articulation entre contrat de vente et nouveau certificat, au risque de maintenir des flous sur la sécurisation des transactions ;
– enfin, le temps de déploiement de ces politiques fait que de nombreuses portions du territoire (là où les nouveaux dispositifs ne sont pas déployés), de nombreuses parcelles au sein des espaces où les nouveaux dispositifs sont en place, resteront dans la durée sous un statut « informel ».
Le design institutionnel des dispositifs de formalisation des transactions, d’archivage des contrats et d’administration des droits formalisés doit reposer sur des principes d’accessibilité, de proximité, de fiabilité, de pérennité financière et institutionnelle. Or, ces principes sont souvent contradictoires entre eux : la proximité va de pair avec une multiplication d’instances, avec des conséquences en termes de coût, de capacité à mobiliser des compétences, parfois de fiabilité. Elle peut aller de pair avec une soumission aux rapports de force locaux, aux inégalités sociales et statutaires. Inversement, des dispositifs étatiques peinent à être déconcentrés à un niveau suffisant, les procédures sont mal connues, la fiabilité n’est pas non plus assurée et le risque de manipulation d’une information foncière stratégique sont forts.
Des dispositifs à double niveau, avec une formalisation du contrat à l’échelle locale, en présence de témoins et d’autorités villageoises, permettant d’acter publiquement du transfert de droits, puis validation et enregistrement par une autorité administrative déconcentrée ou décentralisée, semble opératoire, à condition que le bon fonctionnement de l’ensemble du dispositif soit assuré (en termes de financement en particulier). La forme de cette autorité peut varier : commune, administration territoriale, bureau déconcentré d’une agence dédiée, pour autant qu’elle combine proximité et fiabilité.
Les procédures doivent être à la fois simples et efficaces, car portant sur les problèmes clés, sans formalisme juridique excessif. Mieux vaut des procédures rustiques, accessibles, qui apportent une solution à 80 % des cas et laisse les instances de résolution des conflits traiter les 20 % restant, que des procédures complexes, coûteuses, qui excluent 80 % des cas, ouvrent la voie à des incertitudes et des opportunités de corruptions à la moitié des 20 autres… Les exigences formelles doivent être limitées à l’indispensable[1]. L’administration foncière doit être en mesure d’assurer un enregistrement à date certaine des transactions, un traitement rapide et fiable des demandes, un archivage fiable, une tenue à jour de l’information foncière.
L’administration des droits sur la terre est un champ privilégié pour le clientélisme et la corruption. La mise en place d’instances nouvelles, ou la réforme des dispositifs existants suppose une capacité à assurer une administration foncière fiable et transparente. Le niveau de qualification du personnel, le caractère fonctionnel des procédures et des règles du jeu, sont importants, mais l’éthique du personnel, l’accompagnement des apprentissages pour assurer que les procédures sont maîtrisées, que les difficultés pratiques sont résolues, et enfin l’existence d’audits indépendants peuvent être des conditions pour une gestion transparente.
Une formalisation obligatoire pour les achats-vente
Les achats-vente cristallisent les conflits, parce qu’elles portent sur des transferts définitifs de droits. Les contrats de vente actuellement pratiqués n’évitent pas les conflits, car ils ne règlent pas :
– la question du droit de céder du cédant,
– parfois celle du contenu des droits cédés,
– la date de la transaction.
Faute que ces questions soient traitées, les ventes sont potentiellement insécurisées, les coûts de négociation sont accrus, les risques de remise en cause élevés.
Toute vente doit faire l’objet d’un contrat écrit et être enregistré auprès de l’institution chargée de l’administration foncière locale, sous peine de nullité.
Pour éviter toute renégociation ultérieure, de bonne foi ou non, d’une vente, le contrat doit être explicite sur le fait qu’il s’agit d’une vente, que le vendeur cède tous les droits et renonce à tout droit sur la parcelle, pour lui et ses descendants. Pour répondre à des besoins particuliers, l’existence de contrats de cession de droits d’usage sans aliénation du fonds de terre, de cession du droit d’exploiter une plantation, peut permettre d’assurer que le choix de la vente n’est pas contraint.
En cas de paiement fractionné, une solution doit être proposée pour que les règles du paiement soient claires, et déterminer à quel moment la vente est considérée comme réalisée.
Des transactions sécurisées, même sur des parcelles non légalisées
Certains conflits induits par des transactions foncières ne relèvent pas d’un registre contractuel (le contenu des droits cédés) mais viennent, en amont, d’incertitude sur les droits du cédant sur la parcelle concernée. Une reconnaissance formelle du ou des détenteurs des droits et du contenu de ces droits avant leur transfert résoudrait une bonne partie de ces conflits. Du point de vue de la culture juridique en Afrique de l’Ouest, c’est même un préalable : on ne peut céder légalement qu’une terre « entrée dans la vie juridique ».
Penser la formalisation, en termes de stock ou en termes de flux ?
La culture juridique ouest-africaine sur le foncier est marquée par la tradition de l’immatriculation, qui correspond à ce que Joseph Comby (1998; 2007) appelle « la création de la propriété par le haut », c’est-à-dire une procédure administrative où l’Etat octroie un droit de propriété privée à un individu. Cette logique s’oppose à la création de la propriété « par le bas » telle qu’elle s’est historiquement développée dans les pays européens, par la consolidation progressive de droits de propriété, au fil des héritages et des transferts, enregistrés de façon de plus en plus systématique par des écrivains publics, puis des notaires, au fil de l’histoire. Dans la première logique, on s’intéresse aux « stocks » de parcelles, dont il s’agit d’identifier le propriétaire et de matérialiser la propriété par un titre octroyé par l’Etat et attestant du lien entre parcelle et propriétaire. Dans la seconde, on s’intéresse aux « flux », aux transferts, et c’est le fait d’avoir acquis une parcelle dans des formes légales et incontestables, auprès de quelqu’un qui la détenait pour l’avoir lui-même acquise de façon légale et incontestable, qui constitue la preuve de la propriété. L’Etat définit les conditions pour que ces transferts se fassent de façon transparente et fiable, enregistre les mutations pour actualiser ses outils administratifs et fiscaux, mais ne s’engage pas sur les droits eux-mêmes.
En Afrique francophone, les recherches d’alternatives à l’immatriculation, pour sécuriser les droits de l’ensemble de la population, et pas seulement ceux de la minorité ayant accès au Titre Foncier, demeurent dans une logique de « stocks » : les Conseils municipaux au Sénégal affectent des droits aux demandeurs, les certificats fonciers sont délivrés au Bénin par l’Etat et attestent de la possession ou de la propriété de la parcelle ; il en va de même en Côte d’Ivoire avec la loi de 1998. Correspondant plus aux demandes des habitants, la logique des contrats ou seing privés, et de l’affirmation des conventions de vente, est différente et repose sur la logique des flux. Ce qui amène à discuter les liens entre les deux logiques, d’autant que plusieurs expériences montrent que la certification ne remplace pas la formalisation des transactions foncières (Boué et Colin, 2015), mais vient compléter l’offre de solutions préexistante.
De plus, dans une logique de sécurisation des « stocks » et non des « flux », où c’est un certificat sur une parcelle qui atteste de la propriété, et, non le fait de l’avoir acquise dans les règles comme dans le Code civil, l’acheteur doit, à la fois, établir un contrat de vente qui soit solide, puis obtenir le titre ou le certificat correspondant, ce qui double les procédures et les coûts, sauf si la délivrance du certificat est automatique et intégrée à la procédure même de légalisation du contrat de vente.
La mise en œuvre de politiques de formalisation des droits présente cependant des difficultés trop souvent ignorées par leurs tenants (Colin, Léonard et Le Meur, 2009; Lavigne Delville et Mansion, 2015). Les opérations de formalisation systématiques, type Plans fonciers ruraux, demandent des moyens financiers considérables de la part de l’Etat, elles posent des problèmes de mise en œuvre là où les droits fonciers ne sont pas déjà largement individualisés. Elles ne peuvent être généralisées à court terme sur le territoire. De plus, les acteurs ruraux ne sont pas toujours demandeurs d’un document dont ils ne voient pas toujours l’utilité. Au Bénin, la demande pour des certificats sur les parcelles levées lors des opérations PFR est très faible.
La formalisation à la demande, de type immatriculation, est trop longue et trop coûteuse pour pouvoir être exigée comme un préalable. Elle a souvent servi d’outil de spoliation, du fait de la « purge » de tous les droits antérieurs et de procédures menées loin de l’espace local. La délivrance à la demande de certificats fonciers (ou d’attestation de possession foncière rurale au Burkina Faso) peut être une solution. Mais, si elle reconnaît, en général, l’existence de droits individuels ou collectifs, elle traite mal la question des autres ayants droit sur la parcelle. L’efficacité de ce type de démarche à grande échelle n’est pas encore avérée au Burkina Faso du fait de la jeunesse de cette politique. En Côte d’Ivoire, le coût des procédures de certification, du fait des étapes nécessaires et du nombre d’acteurs à mobiliser, fait qu’elles sont totalement inaccessibles aux producteurs familiaux, et qu’un petit nombre seulement des acheteurs urbains y ont recours (Kouamé, 2013).
Enfin, demander à un vendeur de faire certifier sa parcelle avant de la vendre oblige à doubler les procédures (certification, puis vente, enregistrement de la vente, et délivrance du nouveau certificat au nouveau propriétaire) ce qui allonge les délais, multiplie les coûts et est incompatible avec les ventes urgentes, au risque de favoriser des transactions informelles.
Pour toutes ces raisons, il semble indispensable de prévoir des procédures pour sécuriser au maximum les ventes de terre, même non dotées d’un certificat. Ceci ne peut se passer qu’au village : un maire qui affirme une convention de vente ne peut qu’attester que deux personnes sont venues signer un contrat, sans savoir si la parcelle existe et si le cédant a le droit de la vendre.
Le certificat de non litige utilisé au Bénin vise à remplir ce manque, mais l’absence de litige au moment de la vente, attestée par le chef de village, ne garantit pas l’absence de conflit futur. Annoncer la vente par crieur public, signer le contrat de vente sur la parcelle, en présence des témoins et des limitrophes, et du chef de village (ou de l’autorité responsable) (et éventuellement d’un représentant de l’administration foncière), marquer les limites sur le terrain, intégrer au contrat (ou joindre au contrat de vente) une attestation du chef de village ou de l’autorité responsable selon laquelle, à sa connaissance et après enquête, le cédant a le droit de vendre, peuvent limiter les risques de contestation ultérieure.
Dans cette optique, c’est le contrat de vente qui fait entrer la parcelle vendue dans la vie juridique.
La question du droit à céder pour les parcelles familiales
Une part importante des conflits sur les ventes porte sur la contestation du droit à céder du cédant. Cela se pose pour les ventes multiples et les pratiques ouvertement frauduleuses (lorsque le vendeur n’a aucun droit sur la parcelle). Mais aussi et surtout pour les parcelles relevant de patrimoines familiaux ou de réserves foncières. Partout où les droits sur la terre ne sont pas totalement individualisés, où la terre est un patrimoine lignager ou de famille élargie, où les héritages ne sont pas partagés, la question du droit de vendre sur les terres familiales doit être traitée, sous des formes qui limitent au maximum les risques d’opportunisme (y compris intrafamilial) et de contestation ultérieure.
Le fait qu’une parcelle dispose d’un certificat ou d’une attestation préalablement à la vente résout une partie du problème : on sait, le cas échéant, que la parcelle est familiale et qui est son « gestionnaire ». Dans de tels cas, cela empêche des ventes complètement frauduleuses, peut éviter des ventes par un cadet, par un tiers, mais ne résout pas le problème de l’accord des ayants droit sur la vente. Et, on vient de le voir, cela ne peut être une obligation, en tous cas à court terme.
L’information préalable au village, sous les formes habituelles, est sans doute une condition. Le fait que la signature du contrat ait lieu sur place, voire sur la parcelle elle-même, en présence des voisins (pour les limites), des ayants droit familiaux dans le cas de biens familiaux, d’une autorité villageoise (chef de village ou instance locale de gestion foncière) semble une condition[2]. Mais cela ne règle pas forcément la question de l’acceptation de l’ensemble des ayants droit, en particulier des absents.
Dans les cas où la parcelle est une parcelle familiale, qu’il y ait ou non certificat, un PV de conseil de famille autorisant explicitement la vente d’une parcelle donnée à un prix donné, et donnant mandat à un de ses membres pour signer la vente, semble une étape indispensable, même si le conseil de famille n’a pas d’existence légale. Un tel document est déjà utilisé dans certains cas.
Un tel PV ne garantit pas que l’ensemble des ayants-droit soient présents ou représentés, en particulier lorsque certains d’entre eux ne résident pas sur place (un accord écrit de leur part peut alors être demandé). Mais cela permet au représentant local de l’autorité publique de refuser de valider la vente, s’il sait que des personnes clés du groupe familial ne sont pas signataires. Inversement, dès lors que ces membres clés ont validé la vente, celle-ci ne peut plus être contestée devant la justice, même si d’autres ayants droits non consultés peuvent être en désaccord, ou découvrir a posteriori la vente.
Une telle disposition permet de séparer deux conflits actuellement indissociables : le conflit portant sur l’existence ou la légitimité de la vente (qui met l’acheteur en insécurité) et le conflit intrafamilial sur les modes de décision ou le partage du montant de la vente : dès lors que le PV existe, que la majorité des ayants droit (ou ceux dont le poids social est le plus important) a donné son accord, il est plus difficile de contester la légitimité d’une vente, et il est plus aisé à des instances d’arbitrage de qualifier le conflit de conflit intra-familial, et non de conflit sur la vente elle-même. Une telle mesure n’est donc pas une solution miracle, elle ne supprime pas tout risque de contestation, mais elle est susceptible de limiter significativement les remises en cause de ventes. Proposer un cadre légal souple permettant aux collectivités familiales de se constituer en personne morale, avec un représentant légal ; exiger un mandat explicite, donné par le conseil de famille à son représentant pour toute vente ou bail de long terme, sont des dispositions complémentaires renforçant la sécurité des transactions foncières sur les terres collectives, et réduisant le risque de contestation ultérieure.
Parallèlement, il faut aussi affirmer que toute vente ne suivant pas les dispositions légales est nulle et non avenue, au détriment de l’acheteur, et clairement affirmer la responsabilité – y compris pénale ? – des autorités villageoises et administratives en cas de déclaration mensongère ou de validation d’une vente manifestement tendancieuse ou litigieuse.
La question du droit des autres usagers
Un cédant ne peut céder que les droits qu’il détient. Si d’autres acteurs détiennent des droits sur certains usages de la parcelle (droit de cueillette, droit de passage pour rejoindre une autre parcelle ou un village, droits de vaine pâture), ces droits secondaires doivent-ils obligatoirement disparaître, et ces ayants droit être spoliés par la décision du vendeur ?
Cette question n’est à l’heure actuelle pas traitée, et pas même posée. La conception « exclusive » de la propriété véhiculée par le Titre foncier et l’idée que la propriété implique la « purge » des autres droits empêchent de la penser. Une conception plus réaliste des marchés fonciers, visant à réduire les risques d’exclusion et de conflits, devrait au contraire partir d’une analyse en termes de faisceau de droits et veiller à ce que les droits transférés soient, sauf négociation explicite, bien ceux qui sont détenus par le cédant, et n’aboutissent pas à spolier d’autres ayants droits.
Le maintien des droits des tiers ne peut pas être un principe absolu : les acheteurs de terrain peuvent avoir besoin de droits plus exclusifs, par exemple s’ils veulent planter des arbres, ils doivent pouvoir exclure le bétail. Mais reconnaître les droits des tiers oblige à les intégrer dans la négociation du contrat, et à expliciter ceux qui sont maintenus et ceux qui sont annulés, et les éventuelles indemnisations et compensations dans ce dernier cas.
Il existe globalement deux façons de légalement protéger les droits des tiers sur des terrains privés, les règles administratives et les servitudes :
– l’exercice de la propriété est encadré par une série de règlements. Les communes ou les villages peuvent définir des règles dans le cadre de l’aménagement du territoire qui définissent les usages possibles ou impossibles, ou organisent les usages tels que la vaine pâture, la collecte du bois, etc. Ces règles valent pour toutes les terres et continuent à s’imposer sur une parcelle achetée ;
– les servitudes correspondent à l’inscription de droits réels en faveur de tiers sur une parcelle donnée. Elles peuvent correspondre à des servitudes administratives ou à des servitudes au profit d’un voisin (servitude de passage).
On peut donc imaginer que :
– des règles locales précisent les restrictions aux droits des possesseurs de parcelles agricoles correspondant à la vaine pâture, la cueillette, etc., et que ces restrictions s’imposent au nouveau propriétaire, sauf décision contraire explicite sur le contrat de vente et actée par les acteurs concernés;
– que les éventuelles remises en cause de ces droits, et des chemins de circulation des hommes et du bétail dans la parcelle, soient négociées à l’occasion de la négociation de la vente, et donnent le cas échéant droit à indemnités ;
– que les droits de passage maintenus soient inscrits comme des servitudes* sur le contrat de vente (et sur le certificat qui en résulte).
Pour les faire valoir indirects, une formalisation optionnelle, sur des bases souples, à partir de contrats types adaptés aux différents types de FVI existants
Les arrangements de faire-valoir indirect posent peu de problèmes, parce qu’ils portent sur des durées limitées, le plus souvent, et sont en partie « auto-exécutoires » par le contenu même de l’accord. La plupart sont oraux, mais on voit cependant se développer des contrats écrits, encore peu nombreux et peu standardisés, pour les locations.
L’option la plus pragmatique est d’encourager le recours à l’écrit sans en faire une obligation, sauf pour les contrats de moyenne/longue durée (locations ou contrats de plantation). L’enjeu de promouvoir les locations de moyen/long terme appelle en effet à proposer des dispositifs sécurisés de formalisation des baux de moyen, long termes, pour lesquels, conserver la trace de l’accord et de ses clauses est essentiel.
Les contrats doivent préciser les clauses essentielles. Ils peuvent être sous papier libre, au risque de ne pas être assez précis. Il est utile de diffuser des contrats types, qui peuvent être reproduits librement, et fournissent un cadre. Afin de coller aux arrangements réellement pratiqués, ces contrats ne doivent pas se limiter aux catégories juridiques standard. Ils doivent épouser la gamme des arrangements institutionnels existants. Le contenu des accords de FVI et des contrats de plantation étant sensible aux conditions de l’environnement institutionnel (prix, etc.), il faut limiter les clauses obligatoires à ce qui est indispensable et laisser la place pour les clauses spécifiques, négociées de façon bilatérales par les parties.
Des propositions de contrats types en Côte d’Ivoire
Une étude portant sur la sécurisation des transactions foncières en Côte d’Ivoire (Colin et Kakou, 2009) a conduit à la proposition de différents modèles de contrats, en situations pré-certification et post-certification (seuls ces derniers ont été retenus par le Ministère de l’Agriculture) :
– Contrat de vente de terrain rural,
– Convention de bail rural à court terme (5 ans maximum),
– Convention de bail rural à long terme (plus de 5 ans), Contrat de bail emphytéotique,
– Contrat de mise à disposition et d’exploitation (visant à sécuriser des transferts fonciers non marchands, en particulier en zone de savane),
– Contrat d’exploitation et de partage d’une plantation, avec alors des modèles adaptés aux trois formes possibles : contrat avec partage de la plantation, avec partage de la plantation et de la terre, avec partage de la récolte.
La question des « grandes acquisitions » sur des réserves foncières
La notion de « grande acquisition » est relative. Elle dépend de la disponibilité en terres et de la taille moyenne des exploitations dans la zone. Au Bénin, Mongbo et Adjile proposent de retenir un facteur 5 par rapport à la taille moyenne des exploitations dans la zone (Adjile, 2012) : là où les exploitations font 2 ha, un achat de 10 ha est déjà significatif.
Les grandes acquisitions dans les zones à faible densité de population portent le plus souvent sur des réserves foncières, à l’échelle lignagère ou villageoise. Elles peuvent concerner des espaces à cheval entre plusieurs villages, avec les problèmes de frontière que cela induit. Ce type d’acquisition pose des questions spécifiques au sens où :
– elles portent sur des patrimoines de familles étendues ou de lignages (où les ayants droit sont nombreux et les droits souvent moins affirmés que sur des jachères récentes) et même souvent plusieurs patrimoines lignagers, au sein d’un même village, voire entre plusieurs villages, ce qui démultiplie le problème du droit de céder et les possibles divergences d’intérêts entre acteurs ;
– du fait des surfaces concernées, les cédants peuvent être éblouis par le montant total de la somme apportée par l’acquéreur, sans mesurer le montant par hectare et les impacts de la transaction ;
– les surfaces négociées ne sont pas forcément non cultivées, il peut y avoir des ménages autochtones ou des migrants cultivant dans l’espace concerné ; la vente peut mettre en cause des espaces importants pour le pastoralisme ;
– ces négociations se font souvent en échange de promesses d’investissements au village, de construction d’infrastructures, d’embauche de main-d’œuvre, qui sont des déterminants importants des ventes et dont la concrétisation peut être aléatoire.
La question du droit de céder et de l’accord des ayants droit, celle du devenir des tiers impactés (les agriculteurs ou migrants installés sur les terres concernées, les pasteurs), celle de la garantie du respect des engagements, s’y posent de façon accrue. La capacité des acteurs locaux à s’engager dans une claire connaissance des implications de leur décision peut être limitée, aboutissant à des contrats déséquilibrés. Les contrats engageant « la communauté » sans plus de précision sont susceptibles de poser des problèmes ultérieurs. Un accord informé des différents ayants droits ou responsables lignagers est indispensable, ce qui peut supposer des modalités particulières d’appui à la négociation du contrat de la part d’acteurs externes (Cotula, 2011; Vermeulen et Cotula, 2010).
Références
Adjile A., 2012, Les acquisitions massives de terre agricoles, entre opportunités et menaces pour la paysannerie familiale : étude de cas au Sud et Centre Bénin, Cotonou, CEBEDES, 149 p.
Boué C. et Colin J.-P., 2015, Formalisation légale des droits fonciers et pratiques informelles de sécurisation des transactions dans les Hautes Terres malgaches, Cahiers du Pôle Foncier n° 9, Montpellier, Pôle Foncier, 20 p.,
Colin J.-P. et Kakou A., 2009, Etude sur la location et les ventes de terre rurales en Côte d’Ivoire. Rapport 2. Propositions d’intervention, Abidjan, République de Côte d’Ivoire – Ministère de l’agriculture / Délégation européenne.
Colin J.-P., Léonard E. et Le Meur P.-Y., 2009, « Identifier les droits et dicter le droit. La politique des programmes de formalisation des droits fonciers « , in Colin J.-P., Le Meur P.-Y. et Léonard E., ed., Les politiques d’enregistrement des droits fonciers. Du cadre légal aux pratiques locales, Paris, Karthala, pp. 5-67.
Comby J., 1998, « La gestation de la propriété « , in Lavigne Delville P., ed., Quelles politiques foncières pour l’Afrique rurale ? Réconcilier pratiques, légitimité et légalité, Paris, Karthala-Coopération française pp. 692-707.
Comby J., 2007, « Reconnaître et sécuriser la propriété coutumière moderne », Etudes Foncières, vol 128, pp. 38-44.
Cotula L., 2011, Land deals in Africa: What is in the contracts?, IIED.
Groppo P., Mekouar M., Damais G., et al, 1995, « Politique de régularisation foncière pour une agriculture durable en République Démocratique Populaire Lao », Land Reform, Land Settlement and Cooperatives, pp. 63-88.
Kouamé G., 2013, « Pourquoi formaliser les droits et les obligations sur les terres rurales en Côte d’Ivoire », « Formalisation des droits et des obligations » Nogent-sur-Marne, Comité Technique Foncier et Développement, 21 p.
Lavigne Delville P. et Mansion A., 2015, La formalisation des droits sur la terre dans les pays du Sud. Dépasser les controverses, alimenter les stratégies, Paris, Comité technique foncier et développement.
Vermeulen S. et Cotula L., 2010, « Over the heads of local people: consultation, consent, and recompense in large-scale land deals for biofuels projects in Africa », The Journal of Peasant Studies, vol 37 n° 4, pp. 899-916.
[1] Ainsi, la matérialisation des limites de la parcelle vendue sur le terrain doit être faite, par tous moyens ; le recours à un plan topographique peut être encouragé, mais peut n’être obligatoire que pour les achats par des gens extérieurs au village ; l’intervention coûteuse d’un géomètre expert n’est le plus souvent pas nécessaire.
[2] Au Laos, les ventes de terres non enregistrées se font sur place, en présence de l’autorité locale et de témoins, et le levé de la parcelle est fait à ce moment-là (Groppo, Mekouar, Damais et al., 1995).
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