Mai 2018 – Interroger le rôle des Organisations de la société civile dans la formulation des politiques foncières

La question des réformes des politiques publiques et de la participation de la société civile[1]

La question de la contribution des OSC aux politiques publiques dans les pays « du Sud » est à l’ordre du jour depuis les années 2000 et les cadres stratégiques de réduction de la pauvreté. Les pays africains sont alors incités à définir leurs politiques en la matière, et engagent une série de réformes des politiques sectorielles, pour les adapter au nouveau contexte institutionnel issu des ajustements structurels du milieu des années 1980 et des réformes institutionnelles (démocratisation, décentralisation) des années 1990. Diversement souhaitée par les Etats et les administrations, qui voient leur monopole en la matière contesté, la « participation de la société civile » est à la fois revendiquée par les OSC et poussée par les bailleurs de fonds qui y voient une opportunité pour une plus grande pertinence des politiques et une source de légitimation.

Chaque processus de réforme s’accompagne ainsi, dans des modalités variées, d’un ensemble de commissions, d’ateliers, à différentes échelles. Pour autant, le degré d’ouverture des processus varie fortement et les processus instrumentaux dominent. Les façons de contrôler « le risque politique de la participation »[2] sont multiples : sélection des organisations, déséquilibre des commissions, cadrages imposés des débats, transmission tardive des documents, etc. Ces stratégies sont inhérentes aux « offres publiques de participation »[3], lorsque les termes et les modalités sont définis par les porteurs du projet de réforme. Elles ne sont en rien spécifiques aux pays du Sud, même si, du fait des rapports entre Etat et OSC et de l’influence des bailleurs de fonds, la capacité des OSC à exiger des processus ouverts est sans doute globalement plus faible. Mais alors que la question de la participation aux projets de développement avait fait l’objet d’une multitude d’expérimentations et d’analyses, dans les années 1980 et 1990, la question de la participation aux politiques publiques n’a pas suscité le même effort de réflexion opérationnelle et d’analyse critique. La sociologie politique de l’action publique (qui s’intéresse à la façon dont les réponses aux problèmes de société sont définis et pris en charge), la sociologie politique de la participation, ont pourtant beaucoup de choses à apporter[4].

Une perspective de sociologie politique de la participation

Le questionnement de la capitalisation repose ainsi sur cette double perspective de sociologie politique de la production des politiques publiques et de sociologie politique de la participation. Il s’agit d’interroger la façon dont les différents acteurs ont, aux différentes étapes du processus, perçu et défini les enjeux, les opportunités et les risques, et d’analyse leurs stratégies, individuelles ou collectives, de participation au processus et leurs effets. On considère que la définition d’une politique publique résulte de jeux d’acteurs autour des façons de penser les enjeux et les possibles solutions (les cadrages) et de la conduite du processus lui-même de formulation. Les controverses, les conflits, les ambivalences, en font partie intégrante. Les choix de politique ne résultent pas d’une analyse objectivée de la situation, ils ne visent pas forcément à résoudre des problèmes, mais résultent des capacités de certains réseaux d’acteurs à imposer des cadrages et des priorités d’action. Dès lors, la question des alliances, de la capacité à convaincre un réseau élargi d’acteurs, est cruciale.

Un processus de préparation d’une réforme initié par un acteur public représente une séquence formelle de préparation d’une réforme. Il a un début et une fin, repose sur une façon de poser le problème à résoudre (un cadrage), suit une démarche organisée, dont le déroulement n’a pas forcément suivi les intentions initiales, en partie du fait des stratégies d’influence ou de blocage mis en place par les différents acteurs concernés. Mais une séquence formelle s’inscrit dans une histoire : elle fait suite à des expériences antérieures, mobilise des acteurs qui ont déjà des analyses et des relations, ont diversement participé aux débats antérieurs, sont engagés de leur côté dans des réseaux, des conflits, des actions. Les débats de politique foncière ne se résument pas à ce qui se passe dans la séquence formelle. A côté, d’autres scènes existent, les acteurs jouent leur partition, de façon indépendante ou dans le but d’influer le processus formel. Enfin, le résultat du processus formel n’est qu’un acquis partiel, et l’existence d’un accord à un moment donné ne signifie pas qu’il sera traduit dans des mesures concrètes. Le schéma ci-dessous présente ce cadre d’analyse.

La question de la participation est centrale dans de tels processus. La notion de « participation » est prise ici au sens large, et peut recouvrir des modalités variées, à identifier. Elle peut porter sur des moments ou des enjeux différents, être constructive ou oppositionnelle. Elle peut passer par des tentatives d’influence externe et des mobilisations, autant que par des stratégies d’influence externe. Différences entre consultation, concertation et délibération, critères d’analyse de la qualité des débats, stratégies instrumentales et stratégies de contournement, liens entre scènes formelles et scènes informelles, sont autant d’éléments utiles pour décrire et analyser des processus participatifs.

Figure 1. Schéma conceptuel

schemas phld atelier trajectoires des politiques

Parler de participation pose la question de qui participe à quoi et comment ?

  • Qui participe ? Quels acteurs, quels types d’organisations sont inclus et exclus du processus ? Lesquels arrivent à imposer leur présence s’ils n’ont pas été invités ?
  • A quoi ? A quelles étapes ? A la définition du cadrage ou à des discussions sur les modalités de mises en œuvre d’options préétablies ? Au pilotage du processus ou bien à des réunions ponctuelles ?
  • Comment ? Quel espace est ouvert dans les scènes de la participation ? Quelles formes de contributions sont attendues ? Les participants s’y conforment-ils ou cherchent-ils à les subvertir ?

Cela pose aussi la question de l’offre de participation : quel cadre est proposé ? Avec quelle ouverture pour la délibération, la négociation, l’élaboration collective ? Ce cadre est-il accepté contesté ? Quelles autres scènes ailleurs, à côté et quelles articulations ?

Sous-jacente à cela est la question de la qualité de la participation, mise en avant dans les TDR. Notion difficile à définir, la qualité de la participation renvoie d’une part aux modalités de l’offre de participation : les règles du jeu sont-elles claires ? La représentation est-elle satisfaisante ? L’information est-elle suffisante ? L’organisation des débats permet-elle des échanges ouverts, équilibrés ? Les synthèses sont-elles fidèles aux débats ? Bien souvent l’offre de participation est instrumentale et ceux qui la promeuvent cherchent à « contrôler le risque politique de la participation »[5]

Elle renvoie d’autre part aux modalités de la participation des acteurs sollicités : se sont-ils préparés et comment à jouer un rôle actif et productif dans les scènes de la participation ? Quelle analyse font-ils des enjeux et des positions des autres acteurs ? Qui représentent-ils et comment ? Quelles positions défendent-ils et comment celles-ci ont-elles été élaborées ? Quelles stratégies individuelles et collectives mettent-ils en œuvre pour peser sur les processus, contrer d’éventuelles tentatives d’instrumentalisation, pour constituer des alliances élargies ?

Interroger les processus pour comprendre les résultats

Relire après coup une histoire comporte le risque d’un biais rétrospectif : on connait la fin de l’histoire et on la lit comme si cette fin était donnée d’avance. Rendre compte de processus suppose de prendre au sérieux le fait que tout n’était pas écrit, et donc d’adopter une lecture processuelle, qui reconstitue le fil des événements, en prenant en compte les incertitudes, les controverses, les événements. C’est en comprenant les enchaînements que l’on peut comprendre comment s’est construit le résultat final, quels ont été les moments clés, les événements déterminants. Une telle lecture se construit à partir de la reconstitution minutieuse du processus, en mobilisant les documents disponibles, et en croisant les souvenirs, les points de vue, les interprétations.

Chaque institution, chaque acteur, a en effet une lecture propre de l’histoire, en fonction de sa sensibilité, de sa position institutionnelle, de son accès à certaines scènes ou arènes. Croisant les regards et les points de vue d’une gamme d’acteurs la plus large possible, une lecture externe ne prétend pas détenir « la » vérité. Mais reconstituer les principales étapes de l’histoire, trianguler les informations et les perceptions, peut permettre de proposer un récit objectivé, identifiant les nœuds de la trajectoire, confirmant certains éléments qui ont pu susciter des controverses, identifiant des points qui demeurent controversés ou objets d’interprétation différentes.

 

[1] Cf. Lavigne Delville P., soumis, « Participation et production des politiques de développement en Afrique de l’ouest », Revue internationale de politique comparée,  .

[2] Blondiaux L., 2008, Le nouvel esprit de la démocratie. Actualité de la démocratie participative, Paris, Le Seuil/La république des idées.

[3] Gourgues G., 2012, « Avant-propos : penser la participation publique comme une politique de l’offre, une hypothèse heuristique », Quaderni, vol 79 n° 3, pp. 5-12.

[4] Voir l’argumentaire dans Lavigne Delville P., 2011, « Du nouveau dans la « participation » au développement ? Populisme bureaucratique, participation cachée et impératif délibératif », in Jul-Larsen E., Laurent P.-J., Le Meur P.-Y., et al, ed^. Une anthropologie entre pouvoirs et histoire. Conversations autour de l’oeuvre de Jean-Pierre Chauveau, Paris, APAD-IRD-Karthala, pp. 161-188.

[5] Blondiaux L., 2008, Le nouvel esprit de la démocratie. Actualité de la démocratie participative, Paris, Le Seuil/La république des idées.

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