Extrait de Lavigne Delville P. et Abdelkader A., 2010, « A cheval donné, on ne regarde pas les dents ». Les mécanismes et les impacts de l’aide vus par des acteurs nigériens, Etudes et Travaux n° 83, Niamey, LASDEL, 113 p.
Nous poserons cette question à deux niveaux, celle des logiques induites par 40 ans d’aide, et celle des changements éventuels liés aux nouvelles modalités de l’aide, à la Déclaration de Paris, et au nouveau contexte de relations entre bailleurs et Etat. Les analyses précédentes (section 5) ont largement montré qu’on ne peut poser la question de la volonté et de la capacité de l’Etat sans mise en perspective historique. Si l’on se place au début des années 2000 (avant la Déclaration de Paris), la réponse à la question de la volonté et de la capacité de l’Etat fait assez consensus :
L’Etat du Niger n’a pas vraiment l’intention de définir une vision claire. Ce qui induit l’absence de vision, de leadership national. Or s’il y avait cela, la relation à l’aide serait totalement différente, l’aide n’aurait pas eu les travers qu’elle a aujourd’hui. L’Etat aurait ainsi créé un état d’esprit. Si cela se produisait, les bailleurs suivraient. En ce moment on pourra sélectionner l’aide. (cadre d’une agence bilatérale).
La responsabilité, elle est du côté de l’Etat. Si le pays qui exprime le besoin d’aide s’organise pour bien exprimer son aide, pour bien la recevoir, il n’y a pas de places pour la divagation. Mais évidemment, la nature a horreur du vide. Si le pays receveur crée un vide, le partenaire peut avoir tendance à faire ce qu’il veut. Mais ce n’est pas ce qu’il veut qui est important mais ce qu’on veut. Si le pays n’a pas une expression, eh bien pour justifier son aide, le partenaire fera sa propre expression et mettra son aide comme il veut. (directeur d’institution publique, souligné par nous)
« Il faut faire l’âne pour avoir le foin » : une relation asymétrique, une passivité induite en partie par l’offre
Le besoin de financement du Niger, les logiques clientélistes et politiques de l’aide, rencontrent une offre d’aide, qui est à la fois, comme le dit David Naudet, une offre et une demande : une offre de financements et une demande de partenaires, d’institutions réceptrices. Dans un contexte où l’Etat ne peut se passer de l’aide, où l’offre est (relativement) abondante – en tous cas par rapport aux ressources propres de l’Etat -, où elle propose à la fois financements et idées (et adhésion aux idées pour avoir les financements), et où l’acceptation des conditions des bailleurs est une condition pour obtenir l’aide, la relation est fondamentalement déséquilibrée.
On a créé des liens entre le récipiendaire qui est le Niger et les donateurs qui sont les « partenaires », des liens qui ne sont sûrement pas des liens de partenariat, parce que, dans le partenariat, il y a le postulat d’égalité, et qu’ici, de la manière dont on est partis, c’est le postulat de l’inégalité qui est posé. (consultant).
Si vous avez un pays pour lequel la marge de manœuvre n’est pas très élevée et qui dépend essentiellement de l’extérieur pour assurer ses dépendances de souveraineté, par exemple pour assurer ses salaires si vos capacités de collecte d’impôts sont très faibles, et même si elles ne sont pas faibles si votre base n’est pas importante, vous n’êtes pas en mesure de négocier comme il se doit. (cadre supérieur de ministère, chargé de la négociation de l’aide).
Il faut faire l’âne pour avoir le foin (consultant, ancien ministre)[1].
De fait, les négociations avec les institutions internationales sont largement déséquilibrées, et « souvent très pénibles ».
J’ai parfois mal, en tant qu’à la fois Nigérien et personnel d’une agence de coopération à laquelle je m’identifie, quand je vois la façon dont on aborde certaines problématiques avec les institutions de l’Etat. On parachute certaines idées qui sont à prendre ou à laisser. En termes de coopération, ça n’a aucun sens, et c’est le très mauvais côté. Aujourd’hui si on conçoit un projet, la participation du gouvernement nigérien est insignifiante. Tout au plus, vous avez une personne qui participe contre 9 à 10 experts expatriés au nom du gouvernement du Nord, et finalement, évidemment, la décision est majoritairement celle du pays du Nord… Cette expérience est triste car la coopération se renferme sur elle pour faire cavalier seul, en gérant les interventions comme elle l’entend. (cadre d’une coopération bilatérale).
Par exemple, [l’équipe du FMI ou de la Banque Mondiale] vient vous dire « votre niveau de recettes fiscales est très faible, voilà ce que nous suggérons pour augmenter ces recettes. Si vous avez une autre alternative, vous pouvez nous dire ». Vous proposez, mais on vous dit que ce n’est pas réaliste… Donc c’est des discussions souvent très pénibles et si vous n’avez pas d’autre alternative, vous dites « bon, on va voir ce que ça va donner »… (cadre supérieur de ministère, chargé de la négociation de l’aide).
Comme cette offre se greffe sur une expérience douloureuse de l’impossibilité d’échapper aux PAS et aux stratégies des bailleurs, elle induit aisément une attitude de démission politique, de soumission apparente et d’opportunisme, du plus haut sommet de l’Etat jusqu’aux villages.
Je vois que justement, cette grosse machine de développement, les gens l’ont intégrée. Ils savent comment faire avec pour en tirer le meilleur sans s’affoler. C’est pour ça qu’ils ne sont pas trop actifs. Ils ont compris tout ça et eux, ils sont moins anxieux que moi sur ces logiques là. C’est-à-dire qu’ils ont très bien compris les règles, les limites, ils ne se font pas plus d’illusion que ça. Et chacun trouve son compte. (assistant technique expatrié).
Parce qu’il y a ce fatalisme, la réflexion, j’ai comme l’impression, s’est arrêtée. Si tel bailleur élabore un programme, a des propositions pour le Niger, je ne suis pas sûr qu’il ait des personnes capables de faire des contre-propositions. Notre administration est pauvre en ressources humaines, mais je ne suis pas sûr que même avec un travail d’enrichissement en ressources humaines, l’on puisse aboutir à des situations significativement différentes parce qu’il y a ce fatalisme ambiant. Il y a cette perte de confiance en soi, en ses capacités à travail, pour transformer la situation dans laquelle on se trouve. Aussi longtemps qu’on n’aura pas travaillé ce problème, je pense qu’on aura toujours cette situation de dépendance à l’aide internationale. La mentalité actuelle si vous voulez, c’est une mentalité de fatalité, c’est une mentalité d’abonnement à l’aide. (consultant, ancien ministre).
Souvent, on crée des besoins qui n’en sont pas, parce qu’il y a opportunité de financement. (cadre d’une cellule de coordination).
Le fait est qu’il n’y a pas de réflexion en amont [sur ce qu’on veut faire de l’aide]. Donc celui qui vient, pourvu qu’il ait son discours et qu’il nous dise par exemple qu’il va investir trois milliards dans les deux ans à venir, on lui dit « ah ! trois milliards, c’est bon » et on reçoit l’investissement sans réfléchir. (responsable d’ONG).
Au Niger, on n’a pas des décideurs politiques capables de dire non. C’est ce qui manque, et je pense que cette situation pèse beaucoup sur l’orientation de l’aide. (cadre d’un projet bilatéral).
Si l’Etat est conséquent, il peut dire « ça, on ne peut pas y arriver dans ces délais, même si on a l’argent, on a un problème de capacités ». L’Etat le sait, les bailleurs le savent aussi. On peut se dire « ça, c’est impossible à atteindre au Niger » et adopter ensemble des objectifs réalistes. Mais personne ne le fait, on fait semblant que c’est faisable. (cadre d’une agence d’aide).
Soumis à la difficulté, ou l’impossibilité pratique de faire valoir leurs points de vue face au pouvoir de décision et à la capacité argumentative des bailleurs de fonds, les acteurs nigériens tendent à se replier sur ce qu’ils peuvent négocier, ce qui correspond à l’offre, ou bien, les modalités et les moyens. Par là même, « en se contentant de satisfaire les conditions des institutions internationales pour obtenir le décaissement des fonds associés, l’Etat nigérien a progressivement abandonné toute prétention à planifier lui-même son développement » (Polet, 2009 : 39).
« Un vaste champ où chacun vient cultiver… »
La Banque Mondiale vient avec ses projets, qui sont les mêmes partout. Ils prennent [les cadres de l’administration] prennent, et ils signent. J’ai l’impression que le Niger est un vaste champ où le propriétaire laisse tout le monde venir travailler, même s’il y a des problèmes de cohérence. Il essaie difficilement d’harmoniser, et encore. Chacun cultive son bout de champ, pourvu que quelque chose se passe. (consultante).
Cette attitude se retrouve tout au long de la chaîne de l’aide, y compris dans le fait d’abandonner aux consultants internationaux la définition des stratégies, ou dans l’absence de réactions solides à ces études ou d’analyse des enjeux de tel ou tel projet,
Tous les projets sont élaborés avec les pays, ils sont validés par le ministère avant que le ministère des Finances ne signe. Le problème est plutôt au niveau de l’intérêt ou l’importance que le pays met dans cette phase [d’élaboration des programmes pluri-annuels]. Souvent, ils la négligent, même s’il y a une mise à disposition de quelqu’un de la DEP. Il n’y a pas une vraie volonté de peser, du coup, évidemment, comme on ne peut pas empêcher le consultant international de vouloir mettre ses idées, s’il n’y a pas en face une vision claire ou une volonté de peser… On a le sentiment que, pour le ministère, le plus important est d’obtenir le budget. Du coup, c’est après que le ministère se plaint « on n’avait pas compris que ça signifiait ça et ça ». Mais une fois que c’est signé, c’est trop tard ! (assistant technique expatrié)
L’Etat ne suit pas. Dès que les accords entre, par exemple, les gouvernements nigérien et XXX sont signés, c’est l’agence de coopération de XXX qui va mettre en œuvre le programme de la coopération et c’est fini. L’Etat est juste là pour le comité de pilotage et autres. Mais l’Etat n’a pas un mécanisme qui lui permette de suivre l’utilisation de ces fonds. Et je pense que quelque part, l’Etat doit jouer ce rôle parce que, en théorie, dès que les accords sont signés, on considère que c’est des fonds publics de l’Etat du Niger. (cadre d’un projet bilatéral).
Ou dans les retards dans la production des rapports censés permettre la délivrance des financements, puisque les bailleurs ont besoin de décaisser et qu’il y a des assistants techniques pour faire le travail à la place.
La substitution, c’est une question permanente dans un contexte de faiblesse des ressources humaines. Assez souvent, on se retrouve dans une situation où on est obligés de faire de la substitution. On le regrette. On nous le reproche, à tort ou à raison. Moi, je voudrais soutenir le ministère vis-à-vis de ses partenaires, pour qu’il n’encourage pas les mêmes reproches de leur part qu’il y a deux ans, lors de la revue. En 2007-2008, le ministère était malheureux de ces critiques. Mais il faut des gens pour que le ministère fasse son travail. Par exemple, il faut un rapport pour le 15 juillet. C’est ça que les bailleurs attendent. Le 10 juillet, il n’y a toujours pas de draft. Si je ne m’investis pas, il n’y aura pas de document, et ça va tout bloquer : le programme ne sera pas validé, les financements ne seront pas disponibles, les structures n’auront pas les moyens dont elles ont besoin, et les populations vont en pâtir. Donc, je m’y mets un week-end, je fais un draft. Les cadres du ministère relisent, corrigent un peu, et on y va. (assistant technique expatrié).
On la retrouve aussi à l’échelle locale.
« On s’est dit une chose : quiconque peut apporter des ressources, il faut l’accepter, puisqu’on ne peut pas rejeter un profit » (président local du PNDS, Kohan Lamordé, cité dans Issaley, 2009 : 25).
Par un cercle vicieux, la passivité même de l’Etat stimule l’offre des bailleurs, qui elle-même réduit la réflexion propre de l’Etat.
Dans les pays pauvres que nous sommes, nous n’avons toujours pas pu exprimer réellement les besoins qui sont les nôtres. Si le besoin n’est pas exprimé par les pays, il est exprimé par celui qui fait l’aide. Certains organismes, quand ils veulent aider, ils vous disent : « mais est-ce que vous ne voudriez pas être aidés dans tel ou tel domaine ? ». Ces domaines là ne sont pas forcement vos priorités. Mais quand on dit par exemple : « est-ce que vous voulez être aidés dans ceci ou dans cela », ça vous tente, c’est-à-dire que vous, ça vous empêche d’avoir vos propre réflexions par rapport à ce que devraient être vos propres besoins, parce que celui qui aide est venu déjà avec une recette. (directeur d’institution publique).
Ce mécanisme est d’autant plus fort que :
- 1/ les bailleurs ont besoin de dépenser leur argent et les pays peuvent compter sur des montants pré-affectés,
Les Etats africains ont un problème avec l’aide parce que d’abord souvent l’aide leur vient sans pour autant qu’ils en expriment le besoin. Parce que c’est une sorte d’aide statutaire. Chaque cinq ans, on sait qu’il y a de l’argent que tel bailleur donne à chaque pays où il intervient. Donc, il y a des pays qui ne programment rien, l’aide vient, elle attend la programmation et c’est le bailleur qui envoie des mémos pour rappeler au ministre des finances qu’elle attend sa programmation, c’est très grave. (responsable d’OSC).
- 2/ de nombreux choix sont prédéterminés par les bailleurs,
Dans beaucoup de cas, l’aide quand elle arrive, elle est bien formatée ; c’est-à-dire que le consultant qui vient pour aider le pays et élaborer un projet, eh bien le projet vient dans un carcan, dans un moule qui est le moule du partenaire technique et financier, qui n’est pas forcement le moule du pays. (directeur d’institution publique).
- 3/ il y a surabondance d’études, de missions, de dossiers à suivre et le personnel des services techniques n’y suffit pas ;
- 4/ les bailleurs poussent à des objectifs irréalistes, pour des logiques de décaissement ou de standardisation des approches,
Les bailleurs poussent l’Etat, lequel parce qu’il a besoin d’argent dit oui tout en sachant qu’il ne peut pas le faire. L’Etat se ment à lui-même pour prendre l’argent du bailleur. Et après il échoue forcement. (cadre d’agence bilatérale).
Les pratiques des bailleurs (et plus largement du système d’aide) ont donc là aussi une responsabilité, d’autant qu’ils multiplient les instances ad hoc, contournant l’organisation administrative.
Avec la multiplication des Comités et cellules ad hoc, « l’autorité et la responsabilité des structures ordinaires sont totalement diluées. Les moyens, les compétences, le dynamisme et donc l’autorité sont essentiellement situées dans les structures transversales actives, et l’organigramme ordinaire du Ministère est une coquille largement vidée de son contenu. (…) Le dédoublement des structures nationales est amplifié par la tendance croissante des donateurs à se situer dans des problématiques transversales aux ambitions sectorielles ou aux compétences géographiques des institutions nationales : lutte contre la pauvreté, sécurité alimentaire, bonne gouvernance, développement local, etc. Ces thèmes ont la particularité de dépasser les compétences des ministères sectoriels. Dès lors, le problème de la tutelle des actions qui en découlent est en pratique presque insoluble ». (Naudet, 1999 : 202-205).
Et qu’ils contournent parfois la négociation technique au profit d’accords politiques avec le ministre, dont l’intérêt porte plus « sur le volume du portefeuille que sur son contenu » (ancien DEP) :
Certains partenaires ont d’abord un niveau de négociation politique avant d’aller au technique, or là, on renverse la chose. Et les ministres, eux, ils sont un peu soucieux de la question du portefeuille mais pas du contenu du portefeuille. Eux, ce qui les intéresse, c’est de comptabiliser qu’un projet a été négocié avec la Banque Mondiale. Or, la direction des études et de la programmation est une direction fortement stratégique, où les cadres doivent s’investir d’une certaine responsabilité. Mais on ne leur a pas donné cette responsabilité, ils ne sont pas vraiment responsables [puisqu’on les court-circuite]. Donc, là du coup, ils ne sont plus enthousiastes. (ancien DEP).
Le résultat est une attitude de laisser-faire, un renoncement à maîtriser les choses. Et, du coup, une tendance à faire porter la négociation plus sur les volumes que sur les politiques.
Etant donné que les bénéficiaires ont renoncé à tout effort de réflexion, ils s’alignent en général sur la position de celui qui finance, pour dire « exactement, c’est ça qu’on veut ». C’est ça le problème, parce que celui qui finance et qui a son objectif, il se donne la capacité de défendre, de convaincre. Le bénéficiaire qui, lui, est passif, ne se casse pas trop la tête et se pose toujours la question de savoir combien il va recevoir d’indemnités s’il participe à tel comité de pilotage. Et bien, il est tout à fait logique que, dans beaucoup de cas, les réflexions courent le risque de se ranger sur les positions du commanditaire, parce que lui aurait au moins la capacité de défendre son point de vue et de le faire partager. (consultant international).
Du point de vue des politiques, toutes les stratégies sectorielles ont été mises en place par des bureaux d’étude. On peut se poser des questions aujourd’hui sur l’existence de la politique dans les Etats. Sur tous les secteurs d’activité, l’Etat n’a pas d’options. Souvent, il laisse les bureaucraties décider, que ce soit la bureaucratie nationale ou internationale, à travers les consultants et autres. Et lui, il se contente d’approuver leurs options. Comme si toute l’action publique s’était technicisée de sa conception à son évaluation. (chercheur).
Des contre-exemples
Ces états de fait ne sont cependant pas systématiques. Dans le même temps où ils les décrivent, nos interlocuteurs citent des exemples de négociations, voire de bras de fer ou de résistance durable, passés ou en cours.
[on apprécie d’avoir des interlocuteurs sur place au niveau des bailleurs, cela facilite le dialogue]. Par exemple, très souvent, si on se rend compte ensemble avec le partenaire que la conditionnalité qu’il a proposée n’est pas réalisable et qu’on arrive à le convaincre, on demande une dérogation. Et il n’hésite pas à aller devant son conseil d’administration pour lui dire que :« voilà compte tenu de telles raisons on ne peut pas appliquer ce qui est prévu au départ »/ C’est pourquoi il y a un intérêt d’avoir des vieux routiers qui sont représentants dans vos pays pour qu’ils arrivent à débloquer la situation au niveau de leurs sièges. (cadre supérieur d’une instance de coordination de l’aide).
Il nous est arrivé de refuser de l’aide. Par exemple si un partenaire fait un programme pour dire qu’il veut intervenir et que voilà ce qu’il propose de faire, on regarde si c’est conforme. Et même si c’est conforme, quand on constate que toute son intervention va assurer le fonctionnement, c’est-à-dire que par exemple plus de la moitié va aller à l’achat de véhicules et autres, on refuse et on rejette. (cadre supérieur d’une instance de coordination de l’aide)
L’augmentation des taxes imposées par le FMI en 2004 a été l’occasion de s’appuyer sur les manifestations contre la vie chère, pour contrer cette mesure.
Le FMI avait estimé que notre niveau de recettes fiscales n’était pas assez élevé, et a demandé de mettre les fameuses taxes sur le riz et le sucre. On a essayé de refuser mais on n’a pas pu. On a fait voter une loi de finances rectificative pour intégrer les taxes. Cela a provoqué les soulèvements contre la vie chère, et on a dit au FMI, « vous voyez, on ne peut pas faire ça ». (cadre supérieur, impliqué dans la négociation de l’aide).
La politique des districts sanitaires ne faisait pas consensus avec les bailleurs, et l’Etat a dû insister pour que les bailleurs l’acceptent.
Dans les années 95 et 96, tout le monde n’était pas d’accord avec notre politique sectorielle, certains ne voyaient pas la nécessité des districts sanitaires. En réponse, nous leur avons dit que c’est dans le cadre de la responsabilisation, de la planification, de la mise en œuvre de la politique sectorielle, les districts sanitaires sont nécessaires. Les découpages comme le district sanitaire, son hôpital, les différents CSI qui permettent d’avoir un ensemble probant, cohérent pour les populations tant urbaines que rurales. Aujourd’hui, tout le monde est d’accord. (ancien DEP).
Le ministère de l’Agriculture a mis l’accent sur l’irrigation pour sa politique de sécurité alimentaire, mais ne trouve pas de bailleurs pour la financer à hauteur de ce qu’il souhaite.
Deux cas de confrontation de visions nous ont été particulièrement décrits, touchant tous deux à des structures publiques, gérant des achats groupés à l’international, et que l’aide veut privatiser ou démanteler. Le premier porte sur la Centrale d’approvisionnement en intrants.
Dans le cadre du dernier appui budgétaire, la Banque Mondiale a demandé de restructurer la Centrale d’approvisionnement en intrants. Il y en a qui pensent qu’elle ne permet pas au secteur privé de s’épanouir. Nous, on dit, au niveau des principes, que chaque Nigérien peut importer des engrais. Mais, si on veut lutter contre la pauvreté, il faut aider les plus pauvres, et le secteur privé ne permet pas de les toucher. Donc, nous voulons maintenir la Centrale. Ce n’est pas une conditionnalité, donc on débat. Notre équation à nous, c’est approvisionner à bon prix les paysans. S’il y a un meilleur système, pas de problème. Mais sinon, on veut garder notre système à nous, où le sac d’engrais est au même prix à Diffa et à Dosso. Concernant les engrais, il y a avait une formule dans un mémo de la Banque disant : « l’Etat s’engage à libéraliser le marché des engrais ». Nous on a dit : « non, c’est déjà libéralisé, à partir du moment où rien n’interdit l’arrivée d’un privé ». Donc on a demandé à reformuler : « le gouvernement s’engage à restructurer la Centrale d’approvisionnement ». Sur ce sujet, une étude a déjà été réalisée sur fonds propres de la Centrale. On s’engage à valider l’étude et à faire le choix d’une restructuration. Mais on ne s’engage pas a priori sur l’orientation. C’est seulement si on a besoin d’argent pour la restructuration qu’on va aller négocier les financements, et les conditions pour les obtenir. (cadre supérieur, Ministère de l’Agriculture).
Le second sur l’Office national des produits pharmaceutiques et chimiques.
L’Office national des produits pharmaceutiques et chimiques (ONPPC) ne marche pas, il y a une complète désarticulation entre les différents dons, les partenaires agissent de leur côté car l’Etat n’a pas mis en place son système pour contrôler. Sur ce programme, on est bloqués car l’approche du ministère n’a pas pu rencontrer l’assentiment des partenaires. L’ONPPC a eu de gros problèmes de gestion. Des bailleurs avaient investi 4 ou 5 milliards FCFA il y a quelques années pour recapitaliser, mais ça a échoué. L’Etat dit « il faut livrer telle quantité de médicaments » et ne paie pas. Du coup, ça ne peut pas être viable. Or, l’Etat nigérien propose de refaire la même chose. C’est vrai qu’il y a un problème de souveraineté, mais les bailleurs ne veulent pas remettre de l’argent dans un système qui a échoué deux fois. Il faut sortir de ce schéma, où on n’échappera pas aux interférences politiques, et privatiser la structure, en mettant au conseil d’administration ceux qui ont mis du capital. (assistant technique, ministère de la Santé).
Dans le cas de la stratégie d’éducation de base, le conflit se situe avec la Banque Mondiale, les autres bailleurs du secteur soutenant la position de l’Etat.
En fait, c’est seulement avec la Banque Mondiale qu’on a des désaccords. Avec les autres, on est d’accord sur l’essentiel : dès le départ, ils étaient contre la contractualisation. On a mis en place un groupe de réflexion sur la qualité [NB sous impulsion des bailleurs, semble-t-il], on travaille sur le niveau de formation dans les Ecoles Normales d’Instituteurs. Dans le cadre du PAS, la durée de formation a été réduite à un an. Nous voulons la porter à deux ans. On a beaucoup de bagarres avec la Banque Mondiale, qui dit que la durée de la formation des enseignants n’a pas d’impact sur leur niveau. La Banque n’intervient pas beaucoup sur le secteur, mais elle est très influente au niveau macro, sur l’appui budgétaire, les politiques économiques globales, etc. Ils font des analyses purement économiques : « si tu vas par là, on ne peut pas mettre notre argent ». Mais il est temps que les nationaux disent ce qu’ils veulent. La difficulté, c’est que la qualité de l’enseignement de base n’est pas la priorité des gens ici, y compris de la société civile, qui devrait être notre alliée : en fait, si on a 87 % de contractuels, ils sont en milieu rural, tous les fonctionnaires sont en ville, voire à Niamey… (cadre supérieur, ministère de l’éducation nationale).
Ce dernier exemple montre que la relation n’est pas toujours d’opposition entre l’Etat et l’ensemble des bailleurs, mais peut opposer les bailleurs entre eux, l’Etat s’appuyant alors sur certains contre d’autres, ce qui renforce sa position. Vu les effets dramatiques de l’ajustement, la stratégie du Ministère de l’éducation nationale, soutenue par les bailleurs bilatéraux, est clairement de revenir progressivement sur ses fondements et de recréer un enseignement public : augmentation du niveau de formation des instituteurs, recrutement progressif des contractuels dans la fonction publique, etc.[2]
Des structures publiques, des instances autonomes de mise en œuvre d’une politique sectorielle, peuvent se trouver en relative position de force, dès lors qu’elles ont une politique claire, un mandat institutionnel incontournable, et sont suffisamment soutenues pour être incontournables.
Au niveau du secrétariat permanent, il y a une politique claire. Nous avons la même ambition, nous avons la même approche. Ce qui nous facilite énormément la tache vis-à-vis des partenaires, du gouvernement et des acteurs nigériens comme des acteurs non nigériens. Ce sont des éléments fondamentaux que nous partageons, et ça nous renforce beaucoup. Aujourd’hui c’est nous-mêmes qui rentrons en contact avec les partenaires techniques. Nous avons consolidé le Code rural, mobilisé de nombreux partenaires autour de cette stratégie, et je crois que nous avons atteint un point de non-retour. Quelque soit le partenaire technique ou financier qui vient au Niger dans le cadre du développement rural, il est tenu d’intégrer le foncier dans son approche. (directeur d’institution publique).
Mais même ce type de position solide n’évite pas les contradictions.
Ce que nous avons demandé aux bailleurs, c’est au moins qu’ils épousent notre programme de travail. C’est comme une sorte d’approche programme que nous avons et à laquelle tous les bailleurs de fonds doivent être tenus. Maintenant, nous aussi, nous avons le devoir de respecter aussi les modalités d’approche de chaque bailleur pour des questions de comptabilité, pour des questions d’audit à leur niveau. Autant nous demandons aux partenaires de prendre en charge notre cadrage, autant nous faisons l’effort nous-mêmes de respecter les procédures des bailleurs. Le problème, c’est que les partenaires n’acceptent pas complètement la démarche et que chacun veut appuyer les organes sur le terrain comme il le veut. Cela pose des problèmes du point de vie de la cohérence de l’action de l’Etat. (directeur d’institution publique).
Vision stratégique, enjeu de la question pour l’Etat (fut-ce pour partie un enjeu de contrôle de la rente de l’approvisionnement), alliances avec certains bailleurs, capacité de négociation sont ainsi des conditions pour être en capacité de négociation, même dans un rapport a priori déséquilibré.
[1] Cette remarque vaut pour les ONG nationales cherchant des financements : « Les ambassades ont une mission dans les pays et si vous n’êtes pas dans la mouvance, ça ne marche pas quoi. (rires) Il suffit d’être réaliste tout simplement, on sait bien qu’entre « l’offre » d’appui et la « demande », il y a des mondes. Les gars, ils ont leur ordre du jour, leur agenda. Bon, si vous n’entrez pas dans mon agenda, vous n’entrez pas donc, ce n’est pas la peine de gesticuler » (responsable d’ONG nationale).
[2] Ce qui se heurte aussi aux stratégies d’équilibre macro-économique du Ministère des Finances. (cadre supérieur du MEN).
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